De l'enseignement et de la recherche

L’enseignement et la recherche à l’École des ponts et chaussées ont connu plusieurs évolutions et faits marquants depuis sa création, en 1747. Les connaître permet de comprendre le rôle de l’École dans l’évolution des infrastructures françaises et les enjeux auxquels elle répond encore aujourd’hui.

L’enseignement au fil des siècles

Héritage du Bureau des dessinateurs du Roi, l’apprentissage du dessin est un élément très important de l’enseignement de l’École, dans les toutes premières décennies. Les ingénieurs doivent en outre maîtriser toutes les disciplines liées à la construction et à l’entretien des voies de communication. En matière de cours comme de méthodologie, l’École va s’adapter à son environnement au fil des siècles, tout en conservant cette colonne vertébrale.

L’enseignement mutuel (XVIIIe siècle)

Sous la direction du premier directeur, Jean Rodolphe Perronet, l’apprentissage théorique des différentes disciplines scientifiques (géométrie, algèbre, sections coniques, calcul différentiel, calcul intégral) se fait par enseignement mutuel. Les élèves les plus avancés font bénéficier leurs camarades de leurs connaissances. Ainsi, avant 1796, il n’y a pas de professeur en titre. Perronet désigne les livres auxquels les élèves-enseignants doivent se référer.

Cette pratique prend fin à la Révolution et avec la mort de Perronet en 1794. Les meilleurs élèves sont alors réquisitionnés pour le Génie. À la même période, l’École centrale des travaux publics (la future École polytechnique) est créée pour enseigner le socle scientifique commun à tous les ingénieurs du pays. L’École des ponts et chaussées devient alors une de ses écoles d’application où les élèves n’étudient plus que les disciplines "qui sont relatives à l'application des sciences mathématiques et physiques, à la construction des ouvrages et à l'art de les projeter" ([Note historique sur l’École des ponts et chaussées], 1797, Ms.2629bis).

La fin de la période révolutionnaire est marquée par la réorganisation de la pédagogie de l’École. Dès 1798, en qualité de directeur de l’École, Gaspard Riche de Prony met fin à l’enseignement mutuel.

 

Représentation de l'école royale des ponts et chaussées.
Représentation de l'École royale des ponts et chaussées (1783, DG 813).

 

Le Triptyque théorie – pratique – concours

Avant cette date, l’enseignement repose sur un triptyque pédagogique qui semble aujourd’hui encore très moderne :

  • Enseignement théorique mutuel, reposant notamment sur la lecture des ouvrages de référence en amont des séances : on parlerait aujourd’hui de pédagogie inversée.
  • Enseignement pratique sur le terrain, avec des ingénieurs déjà en poste : une part importante dans l’enseignement, qui représente un tiers de la scolarité d’un élève ingénieur, et qui s’apparente à l’apprentissage tel qu’on le connaît de nos jours.
  • Les concours, au nombre de trois par an, portent sur les disciplines enseignées : géométrie ; algèbre et sections coniques ; mécanique, hydraulique et calcul différentiel et intégral.

 

 

Le XIXe siècle et la diversification des enseignements

Au XIXe siècle, la période est au progrès, à l’innovation et aux découvertes scientifiques et techniques. La masse de connaissances que doit engranger un ingénieur des ponts et chaussées est croissante. Afin de structurer l’enseignement, les changements opérés pendant la Révolution vont prendre un caractère officiel. L’École polytechnique, notamment, devient une école militaire, et fournit aux élèves ingénieurs des enseignements de grande qualité des matières généralistes. Elle donne ainsi aux élèves un socle commun solide pour la poursuite de leurs études en école d’application.

 

Armand-Joseph Eisenmann, Concours de statique appliquée, an VII (1798/1799)
Armand Joseph Eisenmann, Concours de statique appliquée, an VII (1798-1799), Ms.2002

 

À l’École (impériale) des ponts et chaussées, par le décret impérial du 7 fructidor, an XII (25 août 1804), 3 cours majeurs sont définis :

Le cours de mécanique appliquée

Il sera d’abord professé par Joseph Eisenmann (1796), avec Henri Navier en 1819, puis sera complété en 1831 par le cours de machines à vapeur (dont le premier professeur est Gustave Gaspard Coriolis). Pendant la quasi-totalité du XIXe siècle, le cours aborde également l’hydraulique et la résistance des matériaux, puis ces deux disciplines font l’objet de cours autonomes, l’hydraulique en 1896, puis la résistance des matériaux en 1913.

 

Rabut, Charles (1852-1925), “Cours de mécanique appliquée (béton armé). Visite des élèves de 1ère et de 2ème classes les 6, 7 et 8 mai 1909. Viaduc d'Avranches, béton fretté,”
Rabut, Charles (1852-1925), “Cours de mécanique appliquée (béton armé). Visite des élèves de 1e et de 2e classes les 6, 7 et 8 mai 1909. Viaduc d'Avranches, béton fretté” (4°24465/C1281).

 

Le cours de construction

Fondement de l'École, il traite l’ensemble des infrastructures qui permettront le développement des déplacements, du commerce, de la communication… En 1833, il se scinde en deux blocs, routes et ponts d’une part, navigation, constructions maritimes, chemin de fer d’autre part, qui eux-mêmes se divisent au fil du temps.

Des disciplines annexes ou plus précises vont naître : la topométrie en 1895 pour les routes, ou encore les ponts métalliques et ponts en maçonnerie en 1902. Parfois, des changements de dénomination interviennent, pour mieux refléter les évolutions techniques. Ainsi, le cours de constructions maritimes, créé en 1842, devient ports maritimes en 1892, puis travaux maritimes en 1933, et enfin hydraulique marine et travaux maritimes en 1985.

 

Ouverture du cour de construction de Mandar. Lith. Lebarbier l'aîné.
Ouverture du cours de construction de Mandar. Lith. Lebarbier l'aîné (Fol.6986).

 

L’architecture

L’architecture civile et les arts du dessin, troisième cours majeur au début du XIXe siècle, est dispensé par Mandar, qui en garde la charge pendant près de 20 ans. Par la suite d’autres professeurs prestigieux lui ont succédé, comme Simon Vallot, grand prix de Rome en 1800, Léonce Reynaud, également professeur d’architecture à Polytechnique et concepteur de nombreux phares, ou Ferdinand de Dartein.

Les autres disciplines

Au long du XIXe siècle, d’autres disciplines sont enseignées, qu’on pourrait qualifier de “sciences auxiliaires ou complémentaires”. Il s’agit de faire des ingénieurs des ponts, des techniciens experts dotés d‘une vaste culture scientifique, mais également des gestionnaires avisés. Ces disciplines officialisent parfois des conférences qui pouvaient être données plus ponctuellement.

Des chaires nouvelles pour éclairer les ingénieurs et les ouvrir sur leur environnement sont ainsi créées, par exemple les langues vivantes (1806), les cours de minéralogie et géologie (1828), droit administratif (1831), économie politique (1847), électricité appliquée (1893)…

Quand l’École s’ouvre à l’externat (c’est-à-dire à des élèves qui ne sortent pas de l’École polytechnique), des cours de “mise à niveau” sont ajoutés au programme : la chimie en 1865 (par Alfred Durand-Claye), suivie par la physique en 1876, l’analyse et la mécanique en 1866 (Édouard Collignon).

Les progrès techniques et scientifiques vont conduire à faire évoluer les cours, afin de couvrir les nouveaux pans de l’activité des ingénieurs des ponts et chaussées : ainsi le cours d’hydraulique agricole (Nadault de Buffon) en 1848, qui couvre peu à peu toutes les problématiques de la gestion des eaux, et les cours de chimie appliquée (1864), puis de matériaux de construction (1899).

L’évolution de l’enseignement au XIXe siècle vers toujours plus de diversité des domaines enseignés et, en parallèle, une spécialisation des cours, est bien documentée par la production des manuels de cours, souvent imprimés au sein même de l’École sur une presse lithographique qui fonctionne jusqu’au début du XXe siècle.

Les cours numérisés

Une évolution qui se poursuit sur des bases solides

L’École va continuer de s’adapter avec l’arrivée de nouvelles techniques. Le cours de matériaux appliqués devient essentiel avec le développement de l’utilisation du béton armé (1912), l’économie sociale fait son apparition en 1900, l’urbanisme, en 1942, puis les bases aériennes en 1949, ces deux dernières disciplines faisant l’objet de conférences depuis 1930.

Les cours originels vont eux aussi évoluer, et la construction des ponts sera scindée en deux, avec d’une part, les ponts métalliques, et de l’autre, les ponts en maçonnerie (1902), suivant une logique de techniques très différentes. D’autres chaires seront divisées : la topométrie est par exemple détachée des routes, la mécanique des sols du cours de mécanique, … Cette accumulation de cours rend difficiles les enseignements annexes tels que les langues ou l’équitation, qui vont alors disparaître. Une partie du temps d’application sur le terrain sera aussi réduite.

Après-guerre, on verra également arriver les cours de statistiques et probabilités en 1960, d’informatique en 1966, de communication en 1968 et de gestion des entreprises en 1970.

L’École aujourd’hui, fidèle à son histoire

D’une manière générale, il convient de noter que l'enseignement repose encore aujourd’hui sur les principes et la vision de ses créateurs. Sa trame et son intérêt sont encore bien visibles, et l'École a su grandir et rester fidèle à sa raison d’être durant près de trois siècles, une révolution et plusieurs guerres.

Les départements d’enseignement sont aujourd’hui au nombre de six : ville environnement transport, génie mécanique et matériaux, génie civil et construction, génie industriel, ingénierie mathématique et informatique, et enfin sciences économiques gestion finance. Ils s’accompagnent d’enseignements complémentaires en langues, sciences humaines et sport, formant ainsi des ingénieurs complets et ouverts sur le monde.

Les journaux de mission des élèves ingénieurs

La recherche à l’École des ponts et chaussées

Il aura fallu plusieurs années à l’École pour prendre la mesure de l’aspect essentiel de la recherche dans une institution telle que les Ponts et Chaussées. Il y a cependant plusieurs approches, d’abord empiriques puis stratégiques, au XIXe et au XXe siècles.

Recherche individuelle, rôle des Annales des ponts et chaussées et premier laboratoire

Pendant le premier siècle de son existence, la recherche n’est pas structurée au sein de l’École. Les ingénieurs qui s'intéressent spécifiquement à un sujet peuvent choisir librement d’y consacrer du temps et de l’expérimentation, mais sans moyens particuliers alloués.

La recherche est donc la conjonction d’initiatives et de motivations personnelles, dont les résultats sont publiés dans les Annales des ponts et chaussées, revue de diffusion des connaissances en sciences et techniques majeure au XIXe siècle. Cette forme de liberté s’avère finalement fructueuse, et beaucoup de découvertes scientifiques et techniques ont lieu pendant cette période.

Néanmoins, l'administration de l’École prend petit à petit conscience de l’importance de la recherche pour le progrès de la science des constructions. Elle projette alors avant le milieu du XIXe siècle de dédier des moyens spécifiques pour remplir pleinement son rôle et continuer de former des ingénieurs capables d’innovation.

En 1831, est créé le premier laboratoire "pour que chaque élève soit appliqué aux exercices chimiques pour essai des pierres à chaux, pierres gélives etc." (procès-verbal du Conseil du 7 novembre 1831).

Plan de l'école des ponts et chaussées, rue Hillerin Bertin
Plan de l'École des ponts et chaussées, rue Hillerin Bertin (Paris). Le laboratoire est situé à côté de l'amphithéâtre.


Fin 1838, il est supprimé pour permettre l'agrandissement de l'amphithéâtre et n'est rétabli qu'en 1842. En 1850, il commence à faire des essais pour le service des Travaux publics, puis des analyses de matériaux d'eau, d'engrais, pour le service des particuliers qui en font la demande. En 1876, le laboratoire de chimie est installé dans le nouveau bâtiment élevé en façade de le rue des Saints-Pères, au-dessus du dépôt central des instruments et de la galerie des modèles.

1851 : naissance du laboratoire d’essai de l’École

Cependant, les installations exiguës de la rue des Saints-Pères étaient devenues insuffisantes face au développement du laboratoire de chimie. La proposition de l'ingénieur Frimot en 1843, d'affecter une partie de l'établissement des ponts à bascule quai de Billy à un atelier d'essais sur les métaux pour les élèves reste d'abord sans suite, mais après la suppression de cet établissement en 1851, l'École obtient la jouissance d'une partie des bâtiments et des terrains. Ces nouveaux locaux du quai de Billy prennent le nom de Dépôt de l'École et ont plusieurs vocations :

  • La création d’un laboratoire et d’un atelier expérimental destinés « à faciliter l’instruction pratique des élèves et les progrès de la science des constructions » (Annales des ponts et chaussées. Mémoires et documents relatifs à l'art des constructions et au service de l'ingénieur, 1871, vol. 1.). On y trouve notamment un laboratoire d’essais physiques et mécaniques des matériaux, avec son four à chaux et ses appareils d’essai de la résistance des matériaux (environ 14 200 échantillons y seront examinés entre 1851 et 1867) ;
  • La réception de modèles et collections dont les dimensions ne permettent pas d’être conservés dans l’hôtel de Fleury où l'École est alors installée ;
  • Le dépôt central de machines nécessaires aux travaux des ingénieurs de l’État, poursuivant un des rôles de l’École qui a déjà la charge des instruments de précision ;
  •  L’installation de salles d’examen et de réunion pour les conseils et commissions.

1871 : L’enseignement intègre systématiquement l’expérimentation

En 1871, le dépôt du quai de Billy déménage au 3 avenue d'Iéna, sur un terrain cédé par la Ville de Paris et dans des bâtiments créés et conçus pour y accueillir des installations plus ambitieuses encore. Cet atelier va véritablement permettre l’instauration d’une tradition de la recherche à l’École.

Chaque année, les élèves assistent alors à une série d’opérations et d’expériences pratiques, telles que le forage à la sonde, le battage de pieux, la coupe et l’assemblage de charpente, des essais sur la résistance de matériaux, la taille de pierre etc.

En outre, l’atelier peut recevoir les expérimentations de publics extérieurs, désireux de réaliser des essais spécifiques en utilisant les moyens de l’École. Ainsi peuvent prendre place des travaux de recherche de longue durée, nécessitant des moyens importants que seul l’établissement public peut leur offrir. L’École peut ainsi assumer sa mission pour le progrès scientifique.

 

Quai de Billy
Plan général des terrains et bâtiments du Dépôt des machines du quai de Billy, Ms.2629bis (2)

 

Le laboratoire accueille ses premiers chercheurs de métier

À la fin du XIXe siècle, le laboratoire, qui porte désormais le nom de « Service des instruments de précision, des laboratoires et des essais et recherches statistiques sur les matériaux de construction », prend une orientation nouvelle. Aux côtés des chercheurs individuels, dont les motivations leur sont propres, apparaissent, d’abord en petit nombre, les premiers chercheurs de métier.

Ce courant suit une tendance qui vient de l’étranger, en particulier des laboratoires anglo-saxons. Ces derniers mettent en place une organisation de la recherche autour d’équipes professionnelles et coordonnées, ouvrant la voie à de nombreuses innovations. Il faudra cependant attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour qu’il y ait une véritable prise de conscience des enjeux liés à la recherche, au niveau de l’École comme au niveau national. 

À la recherche individuelle du XIXe siècle se substitue la recherche collective organisée, s'appuyant sur des laboratoires fortement équipés. C'est à cette évolution que le corps des ponts et chaussées doit s'adapter.

 

le labo accueille ses premiers chercheurs de métier
Le laboratoire accueille ses premiers chercheurs de métier / [Agence Rol]. 1924 (Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, EI-13, 1103)

 

1949-1971 : Le laboratoire est séparé de l'École

Après la Seconde Guerre mondiale, la préoccupation des ingénieurs est avant tout la reconstruction, dans laquelle ils s’engagent pleinement. Ils se tiennent un temps éloignés de la recherche fondamentale, lui préférant la recherche appliquée, et le Laboratoire central des ponts et chaussées se détache administrativement de l'École en 1949. Les élèves continuent cependant d’y recevoir une initiation, et les jeunes diplômés peuvent y poursuivre leur formation.

En 1968, Michel Bonnet, directeur adjoint, organise la réintroduction de la recherche dans l'École par des mesures qui aboutiront en 1971 à la création du conseil d’enseignement et de recherche. Son objectif : “favoriser la formation par la recherche” plutôt que de “former des chercheurs". Pour cela, le conseil va encourager la création de centres d’enseignement et de recherche (CER) par discipline.

La recherche pour répondre aux enjeux stratégiques

À partir de 1981 et jusque dans les années 1990, 15 CER sont créés pour porter l'École à un haut niveau d’excellence et d’innovation dans des domaines variés, portant, par exemple, sur la gestion des ressources naturelles et environnement (CERGRENE), l’analyse socio-économique (CERAS), l’analyse des matériaux (CERAM), la mécanique des sols (CERMES) ou l’eau, la ville et l’environnement pour un des plus récents. Dès 1984, ils accueillent les élèves en stage, pour leur permettre de s’initier à l'expérimentation et la recherche.

En 2002, le laboratoire Navier est créé. Unité mixte de recherche de l’École des ponts et chaussées, de l’Université Gustave Eiffel et du Centre national de la recherche scientifique, il mène des recherches sur la mécanique et la physique des matériaux, des structures et des géomatériaux, et sur leurs applications à la géotechnique, au génie civil, aux transports, à la géophysique et à l’énergie. Le laboratoire réunit sur le site de la Cité Descartes (Marne la Vallée), cent soixante dix personnes, constituant un pôle de taille internationale. À ses côtés, d'autres laboratoires spécialisés sont créés, recouvrant tous les domaines d'expertise de l'École des ponts et chaussées (par exemple le LEESU pour la gestion de l'eau, ou le LVMT pour les transports).

En 2007, l’École et l’université de Marne-la-Vallée créent ensemble le pôle de recherche et d’enseignement supérieur Université Paris-Est, qui devient communauté d'universités et établissements (ComUE) en 2015, et ajoute au regroupement l’université Paris-XII, l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux, ESIEE Paris, et l’École nationale vétérinaire d’Alfort.

De 2007 à 2020, les diplômes de doctorat de l’École sont absorbés dans la ComUE Paris-Est. En 2020, l’École retrouve à nouveau la possibilité de délivrer seule son propre diplôme de doctorat.