Acquisition du plan de la Route de Paris à Orléans
Le petit volume manuscrit récemment acquis par les archives de l’École nationale des Ponts et Chaussées participe aux opérations de cartographie routière qui sont aux racines de la future École royale des Ponts et Chaussées. En effet, celle-ci est née en 1747, lorsque le Bureau des dessinateurs établi à Paris trois ans auparavant est transformé en structure d’enseignement sous l’autorité de Jean-Rodolphe Perronet.
Daté de l’année 1749, ce plan itinéraire s’inscrit dans la lignée des travaux de l’atlas de Trudaine. Commandité par le contrôleur général des finances Philibert Orry, cet atlas des routes royales dirigé par les Trudaine amène la production de volumes de grande taille, plus une déclinaison dans un format réduit, souvent doté d’une reliure luxueuse, car adressé au roi ou à de grands serviteurs de l’État. La page de titre du manuscrit comporte une mention tardive, au crayon, qui fait référence à « Dupré de Saint-Maur ». Il pourrait s’agir de Nicolas-François Dupré de Saint-Maur, né en 1695 à Paris, membre de l’Académie française et trésorier de France au Bureau de la généralité de Paris. Toutefois, rien ne permet de confirmer que ce manuscrit lui est consacré, d’autant qu’il n’y a pas de reliure d’époque frappée aux armes du destinataire.
Si le nom des dessinateurs n’est pas mentionné, il ne fait guère de doute que le plan de la Route de Paris à Orléans émane du "Bureau-École" des Ponts et Chaussées. Durant leur scolarité, les élèves reçoivent différentes gratifications, notamment pour le dessin de cartes routières ou de plans d’ouvrages d’art. Le manuscrit Ms.73 qui contient l’État des principaux chemins des généralités indique que le levé de terrain de la route de Paris à Orléans s’étend entre 1744 et 1746. Les opérations de dessin sont réalisées dans la foulée, notamment par l’élève et futur ingénieur Louis-Alexandre de Cessart (1722-1806). Grâce aux États des talents des élèves (ms 1911), il semble que l’élève Pierre Houdas (né en 1728) soit l’auteur de cette version à échelle réduite. Son relevé d’activité pour le premier trimestre 1749 précise qu’il est « occupé depuis le 18 décembre 1748 jusqu’au 5 février [1749] à réduire à moitié et à dessiner la Route de Paris à Orléans, ce qui fait 48 jours ». D’ailleurs, ce travail ne semble pas exempt de reproche. Le manuscrit poursuit : « ce qui fait 48 jours, mais s’il y avait travaillé plus assidument, on estime qu’il aurait fait cet ouvrage en 36 jours ». Pour ce dessin, il reçoit la somme de 54 livres tournois, juste avant sa révocation le 27 mai 1749, pour s’être familiarisé avec un entrepreneur des travaux publics lors d’opérations de contrôle.
La composition du volume reprend les principes de manuscrits similaires, en particulier les Plan de la Route de Paris à Caen et Cherbourg (1766) et de la Route de Paris à Lille (1758) (Ms.97). Il concerne un itinéraire stratégique du royaume de France, considéré à la fin du Moyen Âge comme l’un des plus fréquentés du royaume. Celui-ci fait le lien entre les deux bassins versants de la Seine et de la Loire, avec comme clé l’approvisionnement de la capitale. En outre, il correspond à la première section de la Grande route de Paris en Espagne, devenue incontournable avec la montée sur le trône madrilène d’un petit-fils de Louis XIV.
Fermé, le volume possède un format oblong de 25 centimètres de long sur 21,5 centimètres de large. Une fois ouvert, la cartographie s’étend sur 8 feuilles qui se divisent en deux bandes parallèles dans le sens de la longueur. La route est représentée de façon longitudinale, avec une orientation qui varie d’une bande à l’autre, selon les sinuosités de l’itinéraire. L’ensemble prend en compte les environs immédiats de la route, avec une échelle au 1/17000e et un dessin aquarellé qui permettent de saisir les principaux détails de la topographie.
À Paris, l’itinéraire débute au niveau de la barrière d’octroi du faubourg Saint-Michel, à proximité de l’Observatoire royal. Le cheminement s’effectue plein sud, via Bourg-la-Reine, Antony, Longjumeau, Montlhéry, Étampes, Monnerville, Angerville, Toury, Artenay et enfin Orléans. Cette route (qui correspond à l’actuelle Nationale 20) traverse les généralités de Paris et Orléans, avec un total de 17 bandes ou rubans et une distance totale équivalant à 31 lieues de 2 000 toises (soit environ 120 kilomètres). Sur l’itinéraire, la mesure est également déclinée en postes royales, avec 16,5 postes.
La seconde partie du volume est très originale. En effet, l’itinéraire se prolonge au-delà d’Orléans, mais
dans une version restée à l’encre de Chine qui fait d’abord penser à un document de travail. Cette route démarre à Orléans sur la rive gauche de la Loire et mène jusqu’à Brinon (aujourd’hui Brinon-sur-Sauldre) qui marque la limite de la généralité d’Orléans. Les composantes naturelles n’ont pas été relevées à l’aquarelle. Elles sont seulement décrites par des mentions manuscrites ou des abréviations : vignes, pacage, bruyère, lab. pour les terres labourables, etc. L’unité de mesure utilisée est singulière, car les écarts se font de 5 en 5 minutes de marche. Sur la première partie de l’itinéraire, la moyenne est fixée à 50 toises par minute (97,45 mètres), contre 42 toises par minute pour la seconde (81,86 mètres). Ainsi, le trajet entre Orléans et Montlévrier représente un trajet de 4h45 minutes de marche pour 12 770 toises, soit près de 25 kilomètres. Entre Montlévrier et Brinon, le trajet représente 4h19 minutes de marche ou 10 878 toises, soit 21,2 kilomètres.
Il est probable que cet itinéraire resté inachevé ait été composé au Bureau-École, avant d’être adressé en province, peut-être à l’ingénieur en poste dans la généralité d’Orléans qui l’utilise comme instrument de travail ou comme outil de gestion pour les sections de routes à améliorer. Quoi qu’il en soit, les tableaux contenus à la fin du manuscrit font explicitement référence « aux cartes désignées de M. Trudaine », confirmant par là-même une production au sommet de l’État. En outre, ces deux itinéraires reliant les deux rives de la Loire s’inscrivent dans le contexte immédiatement antérieur aux travaux du nouveau pont d’Orléans. Construit sous l’autorité de Jean Hupeau entre 1751 et 1761, il constitue le principal chantier provincial au milieu du siècle et de nombreux élèves de l’École viennent y parfaire leur apprentissage. Ceci expliquerait également l’insertion dans ce volume d’un plan du pont d’Orléans extrait des Annales de la Société des belles-lettres et des arts d’Orléans. En ce sens, ce volume exceptionnel constitue un ensemble composite qui incarne remarquablement les actions des membres du corps des Ponts et Chaussées.
Stéphane Blond
Maître de conférences en Histoire moderne
Université d'Evry-Val d'Essonne-Paris Saclay
Laboratoire IDHE.S Evry
Pour en savoir plus :
Stéphane BLOND
Thèse 2008 cote NS32708 (5 tomes)
Mémoire de DEA 2004 cote NS 33341
Thèse publiée 2014 cote 39438
Base ARCHIM
Volumes des généralités de Paris et d’Orléans.