Des élèves et des ingénieurs

L’histoire de l’École des ponts et chaussées est profondément liée à l’histoire de l’aménagement de notre territoire. En cela, elle a accompagné de façon structurante l’évolution de nos routes, bien sûr, de nos échanges en général, et au-delà, de notre économie et de notre société. Raconter son histoire, c’est raconter celle d’hommes et de femmes qui ont contribué à façonner notre pays depuis le XVIIIe siècle.

 

Aux origines de l’École, Trudaine et Perronet

En 1744, Daniel-Charles Trudaine, intendant des finances, chargé du détail des Ponts et Chaussées, crée le Bureau des dessinateurs du Roi. Sa mission est de lever et dessiner les routes de France. C’est la grande entreprise de l’Atlas de Trudaine, qui s’avère difficile à mener à bien car le jeune corps des ponts et chaussées, créé en 1716, n’est pas assez fourni en ingénieurs. Il apparaît donc nécessaire de former de nouvelles recrues.

En 1747, Trudaine confie à l’ingénieur de la généralité d’Alençon, Jean Rodolphe Perronet, la mission de créer et d'organiser cette formation au sein du Bureau ; c’est la naissance de l'École. Les jeunes élèves sont dès leur entrée des “employés” de l’État, avant d’être des étudiants.

Arrêt du conseil du 14 février 1747.jpg
Arrêt du conseil du 14 février 1747

La plus grande partie de l’enseignement se fait sur le terrain. Les premières décennies, les élèves sont envoyés sur les chantiers de lever des routes de France, puis sur d'autres chantiers, une fois l’Atlas de Trudaine achevé.

La théorie s’apprend selon une pédagogie originale : ce sont les meilleurs élèves qui enseignent aux autres, excepté pour l’architecture qui s’apprend auprès de grands architectes de l’époque (Blondel, Dumont, Daubenton).

L’École à la Révolution

Portrait de Gaspard Riche de Prony, par Sébastien Cornu, 1840
Portrait de Gaspard Riche de Prony,
par Sébastien Cornu, 1840

À la Révolution, l'École traverse une période agitée. Elle perd ses meilleurs élèves, partis aux armées, et n’est plus en mesure de former les autres. Fin 1793, devant les difficultés de l'École du Génie, elle reçoit la mission de former aussi bien des ingénieurs militaires que des ingénieurs civils et prend provisoirement le nom d'École des travaux publics.

En 1794, elle
perd également son premier directeur, Perronet, au terme d’un mandat de près de 40 ans. Son successeur, Jacques Élie Lamblardie, propose alors la création d’une école préparatoire, sous le nom provisoire d'École centrale des travaux publics, puis École polytechnique (1794), pour la pluralité des sciences qui y sont enseignées. Elle a d’abord pour vocation de remplacer les autres écoles d’ingénieur. Mais l’École des ponts et chaussées en devient finalement une école d’application, ayant pour vocation la mise en pratique et la spécialisation.

L’époque de Prony : l’École se structure

En 1798, Gaspard Riche de Prony devient le quatrième directeur de l'École, et le restera pendant une quarantaine d’années. Sous sa direction, l'École structure son système d’instruction. C’est la fin de l’enseignement mutuel, moins adapté à l’apprentissage théorique de techniques spécifiques, les disciplines généralistes étant désormais dispensées à Polytechnique. Quatre cours sont créés dans un premier temps qui évolueront au fur et à mesure des décrets pris pour définir l’organisation de l’École, notamment celui de 1804.

Le décret impérial du 25 août 1804 relatif au corps des Ponts et Chaussées, consacre son titre X à l'École et à sa nouvelle organisation. Un Conseil de l’École est formé de trois inspecteurs généraux (dont le directeur de l’École), un inspecteur ingénieur en chef et trois professeurs. Cet organe a pour mission de gérer l’établissement et le suivi de l’instruction de 60 élèves et se réunit mensuellement.

Les procès-verbaux de chaque tenue du Conseil consignent de manière très détaillée toute l’histoire de l’École et constituent un fonds documentaire précieux. Le décret détermine également la répartition des apprentissages entre les trois professeurs, qui seront en charge des cours de mécanique appliquée, architecture civile et arts du dessin, stéréotomie appliquée et pratique des constructions.

Durant ces années, l’organisation de l’École cherche parfois ses marques. Des règlements intérieurs vont se succéder pour résoudre certains problèmes rencontrés (assiduité, flux d’entrées et sorties des élèves, modes de nomination des ingénieurs…) et acter des décisions prises au gré des contextes militaires de la France ou de la disponibilité des professeurs. Ainsi, ce décret impérial est le premier d’une série qui, au cours du XIXe, a peu à peu modelé le fonctionnement de l’établissement.

Les réformes de la seconde moitié du XIXe et l’accroissement des élèves

Règlement intérieur de 1851
Règlement intérieur de 1851

Après la mort de Prony, les réformes démarrées pendant sa direction vont permettre des améliorations notables. Parmi les décrets majeurs, citons celui du 13 octobre 1851, notamment, qui synthétise les évolutions des années antérieures, mais surtout institue un second organe à côté du Conseil de l'École, le Conseil de perfectionnement.

Il y est notamment discuté toutes les mesures destinées à perfectionner l’instruction : qualité des professeurs, rédaction et impression des cours pour les élèves, examens et concours… Mais surtout, c’est lui qui a la charge d’établir le classement provisoire des élèves, ainsi que la liste des prix et accessits.

Autre changement notable : l’École s’ouvre aux élèves externes, français ou étrangers, qui ne sont pas polytechniciens. Les difficultés rencontrées pour suivre les cours par cette catégorie d'élèves sont à l'origine de la création de cours préparatoires à partir de 1875. Enfin, par décret du 18 juillet 1890, les conducteurs des Ponts et Chaussées pouvant justifier de six années d’exercice sont également admis au concours de l’externat.


L’installation durable de l'École dans l’hôtel de Fleury, rue des Saints-Pères, au milieu du XIXe, après un siècle de déménagements successifs, offre des possibilités d’agrandissement et permet d’envisager l'accroissement du nombre d’élèves et de salles de cours.

Hôtel de Fleury Rue Saints-Pères
Hôtel de Fleury Rue des Saints-Pères

Elle permet en outre au ministère de confier à son école “fleuron” la responsabilité de certains de ses services, qui se greffent la plupart du temps sur des services déjà existants à l’École : dépôt central des instruments de précision (1849), dépôt des machines et appareils nécessaires aux ingénieurs, dépôt des modèles, laboratoire et atelier expérimental destinés aux progrès de la science des constructions (1851), atlas des ports (1868), tenue du registre de l’échelle de jaugeage des bateaux (1881), etc.

Galerie des modèles, agence Rol
Galerie des modèles, agence Rol

Effort de guerre et réorganisation

La Première Guerre mondiale représente un tournant dans cette évolution. Pendant cette période, l’École, qui préparait ses élèves à la revanche depuis la loi militaire des années 1870, est toute tournée vers l’effort de guerre : ses élèves, des membres du personnel et le corps des ponts en général en paient lourdement le prix ; de même, la plus grande partie de ses locaux sont mis à la disposition d’organismes liés à la guerre.

L’enseignement doit être fortement réorganisé. Des matières sont supprimées et d’autres apparaîtront, liées aux progrès technologiques accomplis pendant la guerre et à la reconstruction.

 

Vue de la rue des saints-pères, 1912
Vue de la rue des saints-pères, 1912

Dans l’entre-deux-guerres, l'École acquiert provisoirement la personnalité civile et l’autonomie financière. Les conseils de l'École et de perfectionnement voient leurs attributions évoluer ; un comité d’enseignement est créé en 1922 pour remplacer le conseil de l'École.

Au milieu du XXe siècle, elle perd aussi peu à peu les différents services annexes qui étaient sous sa responsabilité. À l’inverse, son laboratoire se développe et devient indépendant en 1949, sous le nom de Laboratoire central des ponts et chaussées.

La Seconde Guerre mondiale marque un nouveau tournant. Le ministère de la reconstruction et de l’urbanisme nouvellement créé a besoin de jeunes ingénieurs de plus en plus nombreux et spécialisés.

Avec l’accroissement du nombre d’élèves et la spécialisation des formations, une réflexion sur l'enseignement devient indispensable.

L'École nationale des ponts et chaussées pendant la Grande Guerre

Réformes successives et modernisation de l’enseignement au XXe siècle

Avant 1968, le recrutement des élèves, l’organisation de la scolarité et le suivi des élèves étaient sous la responsabilité du directeur de l’École et de l’inspecteur. À partir de 1963, une réflexion sur l’enseignement se développe et aboutit avec la réforme de 1968. 

 

Rue des Saints-Pères. Photo prise par le directeur André Thiébaut en juin 1968.
Rue des Saints-Pères. Photo prise par le directeur André Thiébaut en juin 1968.

 

Parallèlement, la spécialisation de l’enseignement s’intensifie, avec la mise en place des options d’enseignement par grands domaines en 3e année dès 1962, et des enseignements spécialisés.

Des instances durables sont progressivement constituées : le Centre pédagogique de calcul (future Direction des systèmes d'information) en 1968, la Direction des études l’année suivante, dont le premier responsable est Jean-Marie Garnier, la Formation permanente (future Formation continue) en 1970.

La décennie suivante voit se conforter cette nouvelle organisation et se mettre en place les fondations d’une école moderne : la recherche revient en force sous la forme d’une Direction de la formation post-scolaire et recherche en 1975. La Mission des relations avec la profession est créée, et le Centre pédagogique de documentation et de communication remplace l’ancien Service central de documentation en 1978. 

Par ailleurs, la dimension  internationale, présente depuis le XVIIIe siècle, devient une composante majeure dans l’École : enseignement des langues étrangères (le département de langues est créé en 1981), stages à l’étranger, formations pour les étrangers, coopération scientifique.

Dans les années 1980, les maîtres mots sont “consolidation”, “développement” et “structuration” de ces organes, permettant d’envisager une nouvelle réforme décisive qui intervient dès 1983.

C’est aussi la période de la création de filières, puis celle de collèges, en 1993 qui conduisent à une branche professionnelle ou à un type de métier spécifique.

Lorsque l’École devient établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel le 8 décembre 1993, elle est prête à relever les défis du XXIe siècle.

 

L'école des Ponts de nos jours
L'École des ponts de nos jours

 

La localisation de l'École, du centre de Paris à Champs-sur-Marne

Depuis sa création, l’École a occupé de nombreux bâtiments du centre de Paris. Dans un premier temps concentrés dans le quartier du Marais, à proximité de la résidence de Trudaine, l'École déménage plusieurs fois avant de s’établir en 1845 et pour plus d’un siècle dans l’Hôtel de Fleury, rue des Saint-Pères, dans le 7e arrondissement.

En 1997, l'École quitte son bâtiment emblématique pour rejoindre l’École nationale supérieure de géographie dans un bâtiment unique de 30 000 m², dont elle occupe les deux-tiers. Le bâtiment Sadi Carnot, situé à Champs-sur-Marne, est une réalisation moderne tout en lumière, où les élèves des deux écoles se retrouvent sous les verrières voûtées d’un atrium convivial et ouvert sur le monde.

 

 

En 2012, le nouveau bâtiment Coriolis, également situé à Champs-sur-Marne, est inauguré et accueille des activités d’enseignement et de recherche. Il marque par son architecture et sa conception, l’intégration des enjeux du développement durable aux projets de l'École et de ses étudiants.

Le bâtiment est notamment organisé autour d'un vaste jardin suspendu, ombragé par la toiture qui est productrice d'énergie grâce à ses panneaux photovoltaïques. Il a reçu le Certificat NF Haute qualité environnementale (de niveau exceptionnel) ainsi que le label Haute performance énergétique en 2014.

Les différentes catégories d’élèves

Les élèves du corps des ponts et chaussées

Le corps des ponts et chaussées est le premier grand corps technique, par son ancienneté. À l'École, au XVIIIe, il n’existe qu’une seule catégorie officielle d’élèves : les élèves du corps des ponts et chaussées. 

La création de Polytechnique n’y change rien puisque les élèves qui intègrent les ponts en sortant de Polytechnique (les “corpsards” dans le jargon de cette dernière) sont toujours des élèves du corps des ponts.

Les élèves libres

En parallèle, depuis la création de l'École jusqu’au milieu du XIXe, il existe une autre catégorie plus mouvante et très mal connue d’étudiants admis à l'École, qu’on appelle les élèves libres. Ils sont constitués, majoritairement d'élèves étrangers.
La minorité de français sont d'anciens élèves de Polytechnique, qui, soit ont démissionné, soit n’ont pas été admis dans le corps des Ponts. Leur statut est fixé selon les ordonnances des 30 octobre 1832 et 03 mai 1834. Ils sont
autorisés à suivre les cours oraux et à recevoir comme un droit les cours lithographiés.
 

Promotion 1859 1960
Session scolaire 1859-1860


Les étrangers qui portent le même titre ont un statut moins net. Ils sont généralement admis sur recommandation de leur ambassade ou d’un grand personnage de leur pays d’origine. Ils sont seulement autorisés à suivre les cours oraux, à condition de s’installer au fond de la classe, et n’ont au départ aucun autre droit. Leur nombre croissant, cependant, leur permet d’avoir le poids nécessaire pour obtenir des avancées dans leur statut :

  • ils sont peu à peu admis à passer des examens sur les cours qu’ils ont suivis pour évaluer leur aptitude à continuer ou non leurs études à l'École. 
  • certains reçoivent une indemnité trimestrielle pour les aider (c’est le cas des réfugiés polonais).
  • à partir de la fin des années 1830, ces élèves sont de plus en plus demandeurs de cours de langues, alors qu’ils n’y ont pas tous droit, ou de participation aux campagnes annuelles de travaux comme les autres élèves
  • ils réclament aussi la possibilité d’utiliser voire d’acquérir les feuilles de cours lithographiées.

Les élèves externes (civils)

En 1851 apparaît une nouvelle catégorie d’élèves très liée à la précédente, les élèves externes (civils). La direction choisit parmi les nombreux étrangers présents ceux qu’elle juge aptes à suivre une scolarité normale. Pour faciliter le recrutement, des cours préparatoires sont mis en place en 1875. Les élèves externes étrangers restent majoritaires jusqu’en 1879 environ, les français préférant toujours la voie “royale” par Polytechnique et le corps. Peu à peu le nombre de français augmente jusqu’à égaler puis dépasser le nombre d’élèves étrangers. 

La longue épopée de l’admission des femmes

Jusqu’à la seconde moitié du XXe siècle, seuls les hommes étaient acceptés comme élèves à l'École des ponts et chaussées. La première femme, entrée en 1959, est une élève civile ; il s'agit de Marie-France Clugnet, diplômée en 1962. L’École polytechnique, elle, ne s’ouvre aux femmes qu’en 1972. La première élève du corps des ponts, Nicole Gontier, n’est donc diplômée qu’en 1977.

Il y a pourtant eu des tentatives antérieures. Au tout début du XXe siècle, l'École avait reçu deux femmes de nationalité russe en tant qu’auditrices libres, entre 1901 et 1903, mais leurs noms n’ont pas été conservés et, surtout, elles n’étaient pas diplômées.

En 1919, le directeur informe qu’une jeune fille a demandé à quels emplois pouvait prétendre une femme ayant suivi les cours de l’École des ponts et chaussées. Le conseil est appelé à y répondre et à se prononcer ainsi sur la possibilité pour l'École d’admettre ou non des élèves femmes.

L’instruction de ce dossier dure plusieurs mois. En 1920, au vu des précédents dans d’autres grandes écoles, le Conseil estime que rien ne paraît s’opposer à ce que des femmes soient admises comme élèves. La décennie qui suit, des jeunes filles sont plusieurs fois admises aux épreuves du concours d’entrée, sans toutefois y être admissibles.

Dans les années 30, le ton change. Le directeur a reçu un courrier demandant si les jeunes filles de nationalité étrangère peuvent être autorisées à passer le concours d’admission d’élèves titulaires étrangers. Étonnamment, la question mérite une nouvelle fois d’être débattue, alors qu’elle semblait avoir été tranchée en 1920.

Les membres du Conseil sont unanimes dans leurs arguments : « il faut des hommes pour diriger des chantiers de construction ». Ils estiment que l’avis de 1920 a été uniquement conjoncturel. Le Conseil constate par ailleurs que le règlement « ne renferme aucune disposition excluant les femmes d’une manière explicite” mais qu’aucune n’est en faveur de leur admission. Il faut dire qu’à l’époque très ancienne où il a été établi, la possibilité de recevoir des élèves femmes n’a été nullement envisagée.

En conséquence, le Conseil est d’avis « d’interpréter le règlement comme ne permettant pas l’admission des femmes à l’École des ponts et chaussées ». Il faut donc attendre le tournant des années 1960 pour voir la situation évoluer

Encore très peu nombreuses jusqu’au milieu des années 1970, le nombre des femmes augmente ensuite peu à peu et régulièrement au cours des décennies suivantes. Il est aujourd’hui un peu supérieur au quart du nombre total des élèves.