338 L'ISTHME DE SUEZ,
caines ne se font point à Panama. Cela est vrai; mais les
cotonneries anglaises ne se font pas non plus à Liverpool. Il
faut transporter les unes et les autres aux lieux d'embarque-
ment. La cherté en Angleterre peut égaliser bien des distances ;
et en définitive cette question du plus au moins ne paraît
pas d'une grande importance. Bref, le danger pour l'in-
dustrie cotonnière de l'Angleterre existe sur tous les points
et surtout pour la Chine et l'Asie orientale ; et après avoir con-
staté son existence, il est temps de s'occuper des remèdes
qu'on peut y apporter.
» Nous aborderons franchement la question en disant que,
au moins à notre avis, il n'y a qu'un seul remède efficace, et
que ce remède est le percement de l'isthme de Suez.
» La première idée, celle qui se présenterait le plus naturel-
lement à l'esprit, serait celle d'émanciper l'Angleterre de l'es-
pèce de joug que lui impose l'indispensabilité du coton des
Etats-Unis. L' Angleterre, il est juste de le reconnaître, est
entrée dans cette voie. Il y a, depuis une dizaine d'années,
dans la production du coton aux Indes orientales, augmenta-
tion de quantité et amélioration de qualité. On assure que,
dernièrement encore, il vient de se former à Manchester ou
à Liverpool, une société par actions, dans le but d'introduire
la culture du coton dans les régions qui en sont susceptibles,
et où elle n'existe pas encore. Sans doute il serait à désirer de
voir les capitaux anglais s'employer de préférence dans les
routes de fer de l'Inde, qui doivent faciliter le transport du
coton de l'intérieur à Bombay, au lieu de se fourvoyer dans
celles de la Russie, qui semblent menacer vaguement, dans un
avenir plus ou moins éloigné, les intérêts britanniques en
Orient, et dans celle de l'Euphrate, dont l'utilité, pour le mo-
ment au moins, parait problématique.
» Mais enfin, dans tout cela, s'il n'y a pas tout le bien possible,
il y a du bien; mais il s'en faut de beaucoup qu'il soit suf-
fisant pour rétablir l'équilibre entre Manchester et les Etats-
Unis.
» Tant que le coton de l'Inde, que l'on embarque à Bombay
pour Liverpool, et les cotonneries de Manchester, qui partent
de Liverpool pour Bombay, seront obligées de doubler le cap
de Bonne-Espérance et de faire le tour de l'Afrique, c'est-à-
dire un trajet de 11,360 milles maritimes, pour arriver à leur
destination, l'industrie cotonnière de Manchester ne retirera
qu'un bien chétif avantage de la propagation de la culture du
coton dans les Indes orientales ; mais que le percement de
l'isthme de Suez soit effectué, que ce nouveau Bosphore soit
ouvert aux navires qui porteront à Liverpool le coton qu'ils
auront chargé à Bombay; que le trajet de 11,360 milles soit
réduit à 6,207 milles, c'est-à-dire à peu près à la moitié; que
non-seulement le fret, mais aussi les assurances , l'emploi et
l'intérêt du capital éprouvent une diminution proportionnée
à celle de la distance et du risque ; que ces mêmes facilités
s'étendent aussi, et dans la même proportion, aux coton-
neries et aux autres produits de l'industrie anglaise que l'on
embarque à Liverpool pour les Indes et pour l'Asie orientale :
alors, mais seulement alors, on pourra considérer comme
assurée, au moins pour bien longtemps, la base sur laquelle
repose, avec la prépondérance de l'industrie cotonnière de
l'Angleterre, une partie essentielle de sa richesse et de son
bien-être.
» Je ne ferai point ici l'énumération de tous les autres avan-
tages que le commerce et la politique anglaise pourront
retirer de l'ouverture de l'isthme; d'autres l'ont fait, ou le
feront bien mieux que je ne saurais le faire. Cependant il en
est un qui, se rapportant exclusivement à l'industrie coton-
nière, mérite une place dans cet exposé. Le coton des Indes
n'égale pas en bonté celui des États-Unis; mais l'Egypte nous
fournit, depuis trente ans, celui qu'en France on nomme
Jumel, Mako en Allemagne, Egyptian en Angleterre, coton qui
égale, et dans ses meilleurs choix surpasse celui des Etats-Unis;
mais la quantité en est insuffisante. Je ne m'arrêterai pas ici
à ce que pourront produire en coton les 60,000 feddans qui
seront rendus à la culture par le percement de l'isthme; mais
combien de terrains propres à cette culture ne contient pas
encore le vaste continent de l'Afrique, et quel moyen plus
prompt et plus efficace a-t-on de l'ouvrir à la civilisation et
de rapprocher de l'Angleterre la production du coton, que le
percement de l'isthme? Puissions-nous enfin voir cesser l'op-
position mystérieuse que rencontre encore dans de certains
parages la noble pensée de M. de Lesseps, et puisse la devise
que l'illustre auteur a placée en tête de son ouvrage :
Aperire terram gentibus,
ne pas tarder à se vérifier sur ce point.
» G. D. SGHNELL-GRIOT.
» Pordenone, juin 1857. »
NOUVELLES D'ÉGYPTE.
(Correspondance particulière de nSTHME DE SUEZ.)
Alexandrie, 5 août 1857.
La grande fête du Courbam-Beïram a été célébrée ces jours-
ci dans toute l'Egypte, avec la solennité ordinaire. C'est au
Caire que le Vice-roi a reçu , cette année, les grands digni-
taires du pays.
Après les fêtes, Son Altesse a visité sur toute la ligne ou les
rails sont posés, les travaux du chemin de fer du Caire à Suez.
On travaille toujours avec activité à cette voie.
La Compagnie Égyptienne du remorquage a reçu d'Europe
tout son matériel d'exploitation, et elle a commence son ser-
vice depuis le 1er août. Ce jour-là, les écluses ont été ouvertes
à Atfé ; et hier soir, un des bateaux destinés à faire le service
direct entre Alexandrie et la haute Egypte, est parti de notre
ville pour Siout par le canal de Mabmoudié et de là par le Nil.
La Compagnie du remorquage n'a rien épargné pour posséder
un excellent matériel et de très-bons employés. Le pays attend
d'heureux résultats de cette société qui inaugure, en Orient,
le système des entreprises par actions.
Le Nil est assez satisfaisant, quoique sa crue soit un peu
en retard sur celle de l'an dernier à cette époque.
La eoupe du kalig, dit-on, aura lieu au Caire dans une
dizaine de jours.
L'entreprise projetée du canal maritime de Suez grandit
par la- violence même des attaques dont elle est l'objet. La
pauvreté des arguments qu'on oppose, fait encore mieux res-
sortir les avantages immenses que le commerce et la civilisa-
tion retireraient de cette voie nouvelle; et l'intempérance de
langage du Premier Lord de la Trésorerie est bien faite pour
lui enlever la confiance du peuple anglais et la considération
des hommes de cœur et de progrès de toutes les nations du
globe.
Le commerce a repris un peu d'animation depuis l'arrivée
des premiers produits de la récolte nouvelle, et ces produits
vont maintenant se succéder en grande abondance sur notre
marché.
caines ne se font point à Panama. Cela est vrai; mais les
cotonneries anglaises ne se font pas non plus à Liverpool. Il
faut transporter les unes et les autres aux lieux d'embarque-
ment. La cherté en Angleterre peut égaliser bien des distances ;
et en définitive cette question du plus au moins ne paraît
pas d'une grande importance. Bref, le danger pour l'in-
dustrie cotonnière de l'Angleterre existe sur tous les points
et surtout pour la Chine et l'Asie orientale ; et après avoir con-
staté son existence, il est temps de s'occuper des remèdes
qu'on peut y apporter.
» Nous aborderons franchement la question en disant que,
au moins à notre avis, il n'y a qu'un seul remède efficace, et
que ce remède est le percement de l'isthme de Suez.
» La première idée, celle qui se présenterait le plus naturel-
lement à l'esprit, serait celle d'émanciper l'Angleterre de l'es-
pèce de joug que lui impose l'indispensabilité du coton des
Etats-Unis. L' Angleterre, il est juste de le reconnaître, est
entrée dans cette voie. Il y a, depuis une dizaine d'années,
dans la production du coton aux Indes orientales, augmenta-
tion de quantité et amélioration de qualité. On assure que,
dernièrement encore, il vient de se former à Manchester ou
à Liverpool, une société par actions, dans le but d'introduire
la culture du coton dans les régions qui en sont susceptibles,
et où elle n'existe pas encore. Sans doute il serait à désirer de
voir les capitaux anglais s'employer de préférence dans les
routes de fer de l'Inde, qui doivent faciliter le transport du
coton de l'intérieur à Bombay, au lieu de se fourvoyer dans
celles de la Russie, qui semblent menacer vaguement, dans un
avenir plus ou moins éloigné, les intérêts britanniques en
Orient, et dans celle de l'Euphrate, dont l'utilité, pour le mo-
ment au moins, parait problématique.
» Mais enfin, dans tout cela, s'il n'y a pas tout le bien possible,
il y a du bien; mais il s'en faut de beaucoup qu'il soit suf-
fisant pour rétablir l'équilibre entre Manchester et les Etats-
Unis.
» Tant que le coton de l'Inde, que l'on embarque à Bombay
pour Liverpool, et les cotonneries de Manchester, qui partent
de Liverpool pour Bombay, seront obligées de doubler le cap
de Bonne-Espérance et de faire le tour de l'Afrique, c'est-à-
dire un trajet de 11,360 milles maritimes, pour arriver à leur
destination, l'industrie cotonnière de Manchester ne retirera
qu'un bien chétif avantage de la propagation de la culture du
coton dans les Indes orientales ; mais que le percement de
l'isthme de Suez soit effectué, que ce nouveau Bosphore soit
ouvert aux navires qui porteront à Liverpool le coton qu'ils
auront chargé à Bombay; que le trajet de 11,360 milles soit
réduit à 6,207 milles, c'est-à-dire à peu près à la moitié; que
non-seulement le fret, mais aussi les assurances , l'emploi et
l'intérêt du capital éprouvent une diminution proportionnée
à celle de la distance et du risque ; que ces mêmes facilités
s'étendent aussi, et dans la même proportion, aux coton-
neries et aux autres produits de l'industrie anglaise que l'on
embarque à Liverpool pour les Indes et pour l'Asie orientale :
alors, mais seulement alors, on pourra considérer comme
assurée, au moins pour bien longtemps, la base sur laquelle
repose, avec la prépondérance de l'industrie cotonnière de
l'Angleterre, une partie essentielle de sa richesse et de son
bien-être.
» Je ne ferai point ici l'énumération de tous les autres avan-
tages que le commerce et la politique anglaise pourront
retirer de l'ouverture de l'isthme; d'autres l'ont fait, ou le
feront bien mieux que je ne saurais le faire. Cependant il en
est un qui, se rapportant exclusivement à l'industrie coton-
nière, mérite une place dans cet exposé. Le coton des Indes
n'égale pas en bonté celui des États-Unis; mais l'Egypte nous
fournit, depuis trente ans, celui qu'en France on nomme
Jumel, Mako en Allemagne, Egyptian en Angleterre, coton qui
égale, et dans ses meilleurs choix surpasse celui des Etats-Unis;
mais la quantité en est insuffisante. Je ne m'arrêterai pas ici
à ce que pourront produire en coton les 60,000 feddans qui
seront rendus à la culture par le percement de l'isthme; mais
combien de terrains propres à cette culture ne contient pas
encore le vaste continent de l'Afrique, et quel moyen plus
prompt et plus efficace a-t-on de l'ouvrir à la civilisation et
de rapprocher de l'Angleterre la production du coton, que le
percement de l'isthme? Puissions-nous enfin voir cesser l'op-
position mystérieuse que rencontre encore dans de certains
parages la noble pensée de M. de Lesseps, et puisse la devise
que l'illustre auteur a placée en tête de son ouvrage :
Aperire terram gentibus,
ne pas tarder à se vérifier sur ce point.
» G. D. SGHNELL-GRIOT.
» Pordenone, juin 1857. »
NOUVELLES D'ÉGYPTE.
(Correspondance particulière de nSTHME DE SUEZ.)
Alexandrie, 5 août 1857.
La grande fête du Courbam-Beïram a été célébrée ces jours-
ci dans toute l'Egypte, avec la solennité ordinaire. C'est au
Caire que le Vice-roi a reçu , cette année, les grands digni-
taires du pays.
Après les fêtes, Son Altesse a visité sur toute la ligne ou les
rails sont posés, les travaux du chemin de fer du Caire à Suez.
On travaille toujours avec activité à cette voie.
La Compagnie Égyptienne du remorquage a reçu d'Europe
tout son matériel d'exploitation, et elle a commence son ser-
vice depuis le 1er août. Ce jour-là, les écluses ont été ouvertes
à Atfé ; et hier soir, un des bateaux destinés à faire le service
direct entre Alexandrie et la haute Egypte, est parti de notre
ville pour Siout par le canal de Mabmoudié et de là par le Nil.
La Compagnie du remorquage n'a rien épargné pour posséder
un excellent matériel et de très-bons employés. Le pays attend
d'heureux résultats de cette société qui inaugure, en Orient,
le système des entreprises par actions.
Le Nil est assez satisfaisant, quoique sa crue soit un peu
en retard sur celle de l'an dernier à cette époque.
La eoupe du kalig, dit-on, aura lieu au Caire dans une
dizaine de jours.
L'entreprise projetée du canal maritime de Suez grandit
par la- violence même des attaques dont elle est l'objet. La
pauvreté des arguments qu'on oppose, fait encore mieux res-
sortir les avantages immenses que le commerce et la civilisa-
tion retireraient de cette voie nouvelle; et l'intempérance de
langage du Premier Lord de la Trésorerie est bien faite pour
lui enlever la confiance du peuple anglais et la considération
des hommes de cœur et de progrès de toutes les nations du
globe.
Le commerce a repris un peu d'animation depuis l'arrivée
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