Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1864-07-15
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4673 Nombre total de vues : 4673
Description : 15 juillet 1864 15 juillet 1864
Description : 1864/07/15 (A9,N194)-1864/07/20. 1864/07/15 (A9,N194)-1864/07/20.
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6203325g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 21/05/2012
JOURNAL DE L'UNION DES DEUXIMERS- 905
» Je suppose qu'elle n'a plus sa mère; je n'ai pas osé
la questionner à ce sujet, de peur de rouvrir une plaie
du cœur. Mais ce qui lui donna un nouveau charme à
mes yeux, c'est que j'appris qu'elle était chrétienne.
D'une poitrine extrêmement délicate, les médecins ont
fait à son père une loi de conservation pour elle d'ha-
biter un pays sec et chaud, et le pauvre père, dont elle
est l'unique et précieuse enfant, est venu se renfermer
avec son trésor à l'Oasis, où il trouve, réunie aux agré-
ments d'une riche végétation, la double condition que
lui prescrit la médecine. Son occupation est l'étude ; il
fait l'éducation de sa fille et paraît heureux de ses pro-
grès. Notre conversation fut très-variée ; nous parlâmes
surtout de l'isthme dont il suit les travaux avec autant
d'attention que d'intérêt.
» Au bout de quelques instants, l'esclave apporta l'iné-
vitable café. La jeune fille réunit quelques fleurs de
son jardin en bouquet et vint me les offrir avec une
grâce tout enfantine. Mais le proverbe dit : c Il n'est
si bonne compagnie qu'il ne faille quitter ; » et il fallut
me séparer de mes nouveaux amis, en promettant bien
de revenir une autre fois et de passer quelques jours
auprès d'eux. Enchanté de ma découverte et plein du
souvenir que j'en emportais, je retournai bien vite chez
notre hôte, craignant fort que mes amis ne fussent
partis pour la fontaine sans m'attendre. Quel ne fut pas
mon étonnement de trouver tout le monde endormi d'un
profond sommeil 1 Décidément, c'est ici le royaume de
Morphée; heureux empire où le temps se dispense en deux
parts :
L'une à dormir et l'autre à ne rien faire.
» En voyant toutes ces figures sibéatiflquement cal-
mes, je suis tout prêt à le reconnaître avec Berchoux :
L'homme le plus heureux
Sera partout celui qui dort le mieux.
» Je sonnai un réveil qui ne fut pas accueilli sans quel-
ques légers murmures ; on bâilla beaucoup, on s'étira
nonchalamment, mais on ne se leva pas tout d'abord.
Ces messieurs se trouvaient si bien, qu'ils tinrent con-
seil horizontalement sur la question de savoir si l'on
ne coucherait pas en ces lieux. « Seigneur, nous som-
mes bien ici, dressons-y nos tentes. » Je ne me prêtai
point, pour ma part, à une délibération empreinte d'un
aussi honteux sybarisme, et à défaut du bouclier en-
chanté au moyen duquel les compagnons de Renaud
l'arrachèrent aux jardins d'Armide, je me mis à faire
un bruit infernal, à la manière de celui dont on se ser-
vait autrefois dans les évocations pour faire tomber la
lune sur la terre. Pas moyen d'y résister ! il fallut bien
se résoudre à aller à Aïn-Moussa; c'est ainsi que les
Arabes appellent la fontaine. En sortant, nous passâ-
mes devant la case d'un Arabe qui nous avait offert le
café le matin ; nous avions promis de revenir, car re-
fuser le café chez un Arabe est un manque de savoir-
vivre dont nous n'étions pas capables. Nous fîmes donc
halte ; pour peu que nous soyions obligés d'en faire
d'autres, il nous faudra évidemment coucher. En voyant
ces pauvres gens nous offrir la seule chose qu'ils pus-
sent offrir à des Européens, je ne pouvais m'empêcher
d'être touché de cette réminiscence des mœurs patriar-
cales ; mais hélas ! nous devions bientôt reconnaître
que cet empressement n'était pas aussi désintéressé que
nous nous plaisions à le supposer.
» Une jeune fille de quinze ans, aux traits fins et
réguliers, au teint citron, mais à la figure saupoudrée
de dartres, nous servit sans gaucherie plusieurs tasses
d'un liquide qui n'était pas sans apparence de café. Le
père en partagea une tasse avec son fils, garçon de sept
ou huit ans, dont la vive intelligence nous enchanta.
La mère était occupée à moudre du blé pour le pain
du lendemain. Un charmant petit enfant dormait étendu
par terre. C'était un tableau d'intérieur digne du pin-
ceau de Greuze. Par moment, j'écartais avec mon om-
brelle ployée les nuées de mouches qui s'acharnaient
aux yeux du bambin. Le père me remerciait chaque
fois par ces mots : Kalar kirek iah kaougha. « Dieu aug-
mente ton bien, 6 monsieur. » Mais il se serait bien
gardé de se déranger le moins du monde pour faire ce
que je faisais. Après avoir donné un bakchis à la jeune
fille et au petit garçon, nous nous levâmes pour sor-
tir ; mais le père nous retint avec solennité. C'était
pour nous faire observer que tout le monde autour de
lui avait eu son bakchis, et que lui, maître de la. mai-
son, n'avait rien reçu en souvenir de notre visite. Nous
fîmes droit à l'observation, en payant une quatrième
fois ce que nous avions payé dès la première fois beau-
coup au-dessus de sa valeur, et comme il était un peu
tard pour jurer qu'on ne nous y prendrait plus, nous nous
tînmes pour avertis sans rien jurer du tout, ce qui est
habituellement le plus sage.
» De la porte même de la case que nous quittions,
nous aperçûmes le grand palmier de la fontaine ; dix
minutes de chemin, à peine, nous en séparaient encore.
Cette vue ranima notre ardeur, et nous ne fimes qu'une
enjambée pour y arriver. Chose remarquable, cette
fontaine célèbre se trouve sur un monticule de sable.
C'est un mince filet d'eau, pouvant donner environ
trois ou quatre litres par minute. Il faut regarder de
bien près pour voir la source qui décrit une petite cir-
conférence semblable à une goutte d'eau en ébullition.
Les sables environnants ont une teinte d'humidité qui
fait supposer qu'au moyen d'un puits artésien, on ne
serait pas longtemps à découvrir une couche d'eau
douce dans un rayon de 15 à 20 kilomètres. L'eau qu'on
boit ici est bien un peu saumâtre , mais elle suffit à
faire jaillir une végétation qui, par sa puissance, n'a
de rivale qu'aux Indes ou au Brésil, et pourra plus
tard largement approvisionner Suez et faire, des sables
d'aujourd'hui, un inépuisable jardin maraîcher. Comme
souvenir, je cueille une plante trempée dans l'eau de
la fontaine; j'espère trouver l'occasion de vous en en-
voyer un rameau. Puissent ses vertus calmer un peu
vos douleurs 1 Au retour, à Suez, je constate que nous
sommes tous possesseurs d'un souvenir : l'un a des
roses, l'autre, une branche de palmier ; le dernier, en-
fin, un litre rempli d'eau puisée à la source qu'a con-
sacrée le grand nom de Moïse.
» Une seconde lettre vous fera le récit de notre ma-
» Je suppose qu'elle n'a plus sa mère; je n'ai pas osé
la questionner à ce sujet, de peur de rouvrir une plaie
du cœur. Mais ce qui lui donna un nouveau charme à
mes yeux, c'est que j'appris qu'elle était chrétienne.
D'une poitrine extrêmement délicate, les médecins ont
fait à son père une loi de conservation pour elle d'ha-
biter un pays sec et chaud, et le pauvre père, dont elle
est l'unique et précieuse enfant, est venu se renfermer
avec son trésor à l'Oasis, où il trouve, réunie aux agré-
ments d'une riche végétation, la double condition que
lui prescrit la médecine. Son occupation est l'étude ; il
fait l'éducation de sa fille et paraît heureux de ses pro-
grès. Notre conversation fut très-variée ; nous parlâmes
surtout de l'isthme dont il suit les travaux avec autant
d'attention que d'intérêt.
» Au bout de quelques instants, l'esclave apporta l'iné-
vitable café. La jeune fille réunit quelques fleurs de
son jardin en bouquet et vint me les offrir avec une
grâce tout enfantine. Mais le proverbe dit : c Il n'est
si bonne compagnie qu'il ne faille quitter ; » et il fallut
me séparer de mes nouveaux amis, en promettant bien
de revenir une autre fois et de passer quelques jours
auprès d'eux. Enchanté de ma découverte et plein du
souvenir que j'en emportais, je retournai bien vite chez
notre hôte, craignant fort que mes amis ne fussent
partis pour la fontaine sans m'attendre. Quel ne fut pas
mon étonnement de trouver tout le monde endormi d'un
profond sommeil 1 Décidément, c'est ici le royaume de
Morphée; heureux empire où le temps se dispense en deux
parts :
L'une à dormir et l'autre à ne rien faire.
» En voyant toutes ces figures sibéatiflquement cal-
mes, je suis tout prêt à le reconnaître avec Berchoux :
L'homme le plus heureux
Sera partout celui qui dort le mieux.
» Je sonnai un réveil qui ne fut pas accueilli sans quel-
ques légers murmures ; on bâilla beaucoup, on s'étira
nonchalamment, mais on ne se leva pas tout d'abord.
Ces messieurs se trouvaient si bien, qu'ils tinrent con-
seil horizontalement sur la question de savoir si l'on
ne coucherait pas en ces lieux. « Seigneur, nous som-
mes bien ici, dressons-y nos tentes. » Je ne me prêtai
point, pour ma part, à une délibération empreinte d'un
aussi honteux sybarisme, et à défaut du bouclier en-
chanté au moyen duquel les compagnons de Renaud
l'arrachèrent aux jardins d'Armide, je me mis à faire
un bruit infernal, à la manière de celui dont on se ser-
vait autrefois dans les évocations pour faire tomber la
lune sur la terre. Pas moyen d'y résister ! il fallut bien
se résoudre à aller à Aïn-Moussa; c'est ainsi que les
Arabes appellent la fontaine. En sortant, nous passâ-
mes devant la case d'un Arabe qui nous avait offert le
café le matin ; nous avions promis de revenir, car re-
fuser le café chez un Arabe est un manque de savoir-
vivre dont nous n'étions pas capables. Nous fîmes donc
halte ; pour peu que nous soyions obligés d'en faire
d'autres, il nous faudra évidemment coucher. En voyant
ces pauvres gens nous offrir la seule chose qu'ils pus-
sent offrir à des Européens, je ne pouvais m'empêcher
d'être touché de cette réminiscence des mœurs patriar-
cales ; mais hélas ! nous devions bientôt reconnaître
que cet empressement n'était pas aussi désintéressé que
nous nous plaisions à le supposer.
» Une jeune fille de quinze ans, aux traits fins et
réguliers, au teint citron, mais à la figure saupoudrée
de dartres, nous servit sans gaucherie plusieurs tasses
d'un liquide qui n'était pas sans apparence de café. Le
père en partagea une tasse avec son fils, garçon de sept
ou huit ans, dont la vive intelligence nous enchanta.
La mère était occupée à moudre du blé pour le pain
du lendemain. Un charmant petit enfant dormait étendu
par terre. C'était un tableau d'intérieur digne du pin-
ceau de Greuze. Par moment, j'écartais avec mon om-
brelle ployée les nuées de mouches qui s'acharnaient
aux yeux du bambin. Le père me remerciait chaque
fois par ces mots : Kalar kirek iah kaougha. « Dieu aug-
mente ton bien, 6 monsieur. » Mais il se serait bien
gardé de se déranger le moins du monde pour faire ce
que je faisais. Après avoir donné un bakchis à la jeune
fille et au petit garçon, nous nous levâmes pour sor-
tir ; mais le père nous retint avec solennité. C'était
pour nous faire observer que tout le monde autour de
lui avait eu son bakchis, et que lui, maître de la. mai-
son, n'avait rien reçu en souvenir de notre visite. Nous
fîmes droit à l'observation, en payant une quatrième
fois ce que nous avions payé dès la première fois beau-
coup au-dessus de sa valeur, et comme il était un peu
tard pour jurer qu'on ne nous y prendrait plus, nous nous
tînmes pour avertis sans rien jurer du tout, ce qui est
habituellement le plus sage.
» De la porte même de la case que nous quittions,
nous aperçûmes le grand palmier de la fontaine ; dix
minutes de chemin, à peine, nous en séparaient encore.
Cette vue ranima notre ardeur, et nous ne fimes qu'une
enjambée pour y arriver. Chose remarquable, cette
fontaine célèbre se trouve sur un monticule de sable.
C'est un mince filet d'eau, pouvant donner environ
trois ou quatre litres par minute. Il faut regarder de
bien près pour voir la source qui décrit une petite cir-
conférence semblable à une goutte d'eau en ébullition.
Les sables environnants ont une teinte d'humidité qui
fait supposer qu'au moyen d'un puits artésien, on ne
serait pas longtemps à découvrir une couche d'eau
douce dans un rayon de 15 à 20 kilomètres. L'eau qu'on
boit ici est bien un peu saumâtre , mais elle suffit à
faire jaillir une végétation qui, par sa puissance, n'a
de rivale qu'aux Indes ou au Brésil, et pourra plus
tard largement approvisionner Suez et faire, des sables
d'aujourd'hui, un inépuisable jardin maraîcher. Comme
souvenir, je cueille une plante trempée dans l'eau de
la fontaine; j'espère trouver l'occasion de vous en en-
voyer un rameau. Puissent ses vertus calmer un peu
vos douleurs 1 Au retour, à Suez, je constate que nous
sommes tous possesseurs d'un souvenir : l'un a des
roses, l'autre, une branche de palmier ; le dernier, en-
fin, un litre rempli d'eau puisée à la source qu'a con-
sacrée le grand nom de Moïse.
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