Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1862-12-01
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4673 Nombre total de vues : 4673
Description : 01 décembre 1862 01 décembre 1862
Description : 1862/12/01 (A7,N155). 1862/12/01 (A7,N155).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6203309c
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/06/2012
370 L'ISTHME DE SUEZ,
par de puissantes dragues dont plusieurs fonctionnent
déjà, et que les ateliers de Port-Saïd sont en mesure de
monter et de réparer. Après avoir visité les ateliers de
Kantara, nous repartîmes, le 14, toujours par le canal,
jusqu'à 3 kilomètres environ d'El-Guisr, où s'arrête en
ce moment la navigation. Nous avions traversé depuis
Port-Saïd des travaux bien curieux, bien intéressants
comme travaux, mais des pays peu variés et rien moins
que pittoresques : quelques oiseaux à tirer, souvent à
manquer, telle avait été notre seule distraction. Ici al-
lait s'offrir un véritable changement à vue.
» Et d'abord nous voyons venir à nous deux cava-
liers montés sur ces brillants chevaux du désert dont
la réputation est faite depuis longtemps, et un peu en
arrière un autre cavalier sur une monture plus modeste,
mais qui est fort bien portée, ou plutôt qui porte fort
bien en Egypte. Les deux fringants cavaliers étaient
l'ingénieur d'El-Guisr et un autre employé supérieur de
la Compagnie; le troisième, monté sur l'animal aux
longues oreilles, n'était ni plus ni moins que mon vieil
ami, nouvellement abbé G., installé depuis trois à
quatre jours dans sa résidence d'El-Guisr. Des cha-
meaux attendaient nos bagages, des chevaux étaient
préparés pour les jeuues gens, et une voiture pour les
dames et pour les vieux. Une voiture au désert, vas-tu
t'écrier ! Oui, une voiture, et quelle voiture ! Il faudrait
l'avoir vue, ou du moins le dessin qu'en a fait notre jo-
lie compagne, pour en avoir une idée. La voiture elle-
même est un simple omnibus, à roues en fer, dont les
jantes sont très-larges afin de ne pas trop enfoncer dans
le sable. Mais c'est l'attelage et les postillons qu'il au-
rait fallu voir ! Figure-toi un attelage de six droma-
daires montés par autant de postillons, si postillons
c'étaient? Nos dromadaires étaient attelés, d'abord deux
au timon, puis trois de front, comme pour les diligen-
ces que nous avons expérimentées dans notre jeunesse,
et qui ne méritaient leur nom qu'aux descentes, enfin
le sixième en arbalète devant les trois du milieu. Nos
six postillons arabes avec leurs costumes pittoresques,
leurs selles ou bâts garnis de maroquin rouge, leurs
chabraques aussi de maroquin, composaient un des as-
pects les plus singuliers que l'on pût voir. Aussitôt que
nous fûmes montés dans la voiture, les six diables per-
chés sur leurs énormes bêtes la mirent à une allure
assez vive; et roulant sur le sable du désert nous arri-
vâmes en quelques minutes au village d'El-Guisr.
» Maintenant, me diras-tu, qu'est-ce que El-Guisr?
Sûrement ta carte n'en parle pas ; la prochaine édition
de Bouillet te le dira peut-être, mais tu le chercherais
en vain dans la dernière. El-Guisr est une création de
la Compagnie, un village solidement établi sur le
seuil de l'isthme. On a donné, je ne sais pourquoi, le
nom de seuil au point culminant de l'isthme, à l'en-
droit qui s'appellerait le point de partage des eaux, s'il
tombait de l'eau dans ce pays; et c'est là qu'ont dû se
porter les efforts de la Compagnie pour continuer le
canal navigable jusqu'à la mer Rouge. Le seuil, puis-
que seuil il y a, n'est pas bien formidable : 20 mètres,
je crois, au-dessus du niveau de l'eau. Mais, comme il
fallait y réunir le plus de travailleurs, les obstacles ne
laissaient pas d'être sérieux : pas une goutte d'eau et
pas un habitant, 20 mètres de sable à enlever sur une
largeur de 56 mètres qui se double au moins à cause de
la nécessité de donner des talus assez prononcés pour
éviter le glissement. La première opération de la Com-
pagnie a été, sinon d'amener l'eau au seuil, du moins
de l'en rapprocher; elle a continué un canal dérivé du
Nil qui venait à environ une dizaine de lieues du seuil,
et l'a conduit jusqu'à Timsah (dont je te parlerai tout
à l'heure), à 5 kilomètres du seuil. Les chameaux vont
continuellement y puiser l'eau dans des outres et l'ap-
portent au seuil, où elle est distribuée avec une grande
libéralité. Au moment de notre passage, il n'y avait
pas moins de quinze mille ouvriers répartis sur un es-
pace qui n'a guère plus de 3 à 4 kilomètres d'étendue.
Les travaux sont très-avancés, et à la fin du mois ou
au commencement de l'autre, .les eaux arriveront au
lac Timsah destiné à devenir le port intérieur du canal.
» On a beaucoup déclamé en Angleterre et un peu
en France contre le travail imposé aux Arabes. Il est
très-vrai que ce travail est obligé, mais chaque peuple
doit être pris suivant sa nature et ses habitudes. Cette
nature et ces habitudes peuvent se modifier avec le
temps ; sans doute, on peut désirer que cette modifi-
cation s'accomplisse un jour, mais, en attendant, il faut
bien mener un peuple selon ses mœurs actuelles, et non
d'après des utopies qu'il est douteux de voir se réaliser
jamais. Or, l'Egyptien est très-laborieux pour son pro-
pre compte, il travaille presque jour et nuit: il arrose,
il cultive, il moissonne son champ ; mais en dehors de
son intérêt direct et personnel, vous n'obtiendrez rien
de lui par la persuasion. Si un des canaux qui lui por-
tent l'eau et la vie, car partout où il n'y a pas d'eau en
Egypte il n'y a pas de vie, si, dis-je, un de ces canaux
s'obstrue par suite des dépôts du Nil, si une levée vient
à se crever, vous ne trouverez jamais un travailleur qui
consente à prêter librement son concours. Il faut que
l'autorité intervienne et procède par voie de corvée. S'il
en est ainsi pour les travaux qui ont ce que nous ap-
pellerions en France un intérêt commun, que sera-ce
pour les travaux publics ? A cet égard, il n'y a rien,
absolument rien de possible en Egypte que par la cor-
vée.
» Voici comment les choses sont arrangées. Le vice-
roi doit fournir à la Compagnie la quantité de tra-
vailleurs demandée (le nombre va en être prochaine-
ment porté à cinquante mille). Par quels moyens les
recrute-t-on? Ceci regarde le gouvernement, la Compa-
gnie n'a pas à s'en préoccuper. Les ouvriers sont à la
tâche, 0, 50, je crois, le mètre cube; ils ne restent sur
les travaux qu'un mois de suite, mais pendant ce mois
ils doivent avoir exécuté un certain nombre de mètres
cubes. Ils sont sous la direction de leurs cheiks ou
maires, lesquels veillent, dans leurs chantiers respec-
tifs, à ce que le travail des habitants d'un village n'in-
combe pas aux habitants d'un autre. Défense sévère à
tout agent de la Compagnie de frapper un Arabe, c'est
l'affaire des cheiks, s'ils le jugent convenable. L'eau
leur est donnée gratis et à discrétion, ce qui est un
grand point pour des musulmans; au besoin, des vivres
leur sont fournis à des prix modérés. A la fin de leur
par de puissantes dragues dont plusieurs fonctionnent
déjà, et que les ateliers de Port-Saïd sont en mesure de
monter et de réparer. Après avoir visité les ateliers de
Kantara, nous repartîmes, le 14, toujours par le canal,
jusqu'à 3 kilomètres environ d'El-Guisr, où s'arrête en
ce moment la navigation. Nous avions traversé depuis
Port-Saïd des travaux bien curieux, bien intéressants
comme travaux, mais des pays peu variés et rien moins
que pittoresques : quelques oiseaux à tirer, souvent à
manquer, telle avait été notre seule distraction. Ici al-
lait s'offrir un véritable changement à vue.
» Et d'abord nous voyons venir à nous deux cava-
liers montés sur ces brillants chevaux du désert dont
la réputation est faite depuis longtemps, et un peu en
arrière un autre cavalier sur une monture plus modeste,
mais qui est fort bien portée, ou plutôt qui porte fort
bien en Egypte. Les deux fringants cavaliers étaient
l'ingénieur d'El-Guisr et un autre employé supérieur de
la Compagnie; le troisième, monté sur l'animal aux
longues oreilles, n'était ni plus ni moins que mon vieil
ami, nouvellement abbé G., installé depuis trois à
quatre jours dans sa résidence d'El-Guisr. Des cha-
meaux attendaient nos bagages, des chevaux étaient
préparés pour les jeuues gens, et une voiture pour les
dames et pour les vieux. Une voiture au désert, vas-tu
t'écrier ! Oui, une voiture, et quelle voiture ! Il faudrait
l'avoir vue, ou du moins le dessin qu'en a fait notre jo-
lie compagne, pour en avoir une idée. La voiture elle-
même est un simple omnibus, à roues en fer, dont les
jantes sont très-larges afin de ne pas trop enfoncer dans
le sable. Mais c'est l'attelage et les postillons qu'il au-
rait fallu voir ! Figure-toi un attelage de six droma-
daires montés par autant de postillons, si postillons
c'étaient? Nos dromadaires étaient attelés, d'abord deux
au timon, puis trois de front, comme pour les diligen-
ces que nous avons expérimentées dans notre jeunesse,
et qui ne méritaient leur nom qu'aux descentes, enfin
le sixième en arbalète devant les trois du milieu. Nos
six postillons arabes avec leurs costumes pittoresques,
leurs selles ou bâts garnis de maroquin rouge, leurs
chabraques aussi de maroquin, composaient un des as-
pects les plus singuliers que l'on pût voir. Aussitôt que
nous fûmes montés dans la voiture, les six diables per-
chés sur leurs énormes bêtes la mirent à une allure
assez vive; et roulant sur le sable du désert nous arri-
vâmes en quelques minutes au village d'El-Guisr.
» Maintenant, me diras-tu, qu'est-ce que El-Guisr?
Sûrement ta carte n'en parle pas ; la prochaine édition
de Bouillet te le dira peut-être, mais tu le chercherais
en vain dans la dernière. El-Guisr est une création de
la Compagnie, un village solidement établi sur le
seuil de l'isthme. On a donné, je ne sais pourquoi, le
nom de seuil au point culminant de l'isthme, à l'en-
droit qui s'appellerait le point de partage des eaux, s'il
tombait de l'eau dans ce pays; et c'est là qu'ont dû se
porter les efforts de la Compagnie pour continuer le
canal navigable jusqu'à la mer Rouge. Le seuil, puis-
que seuil il y a, n'est pas bien formidable : 20 mètres,
je crois, au-dessus du niveau de l'eau. Mais, comme il
fallait y réunir le plus de travailleurs, les obstacles ne
laissaient pas d'être sérieux : pas une goutte d'eau et
pas un habitant, 20 mètres de sable à enlever sur une
largeur de 56 mètres qui se double au moins à cause de
la nécessité de donner des talus assez prononcés pour
éviter le glissement. La première opération de la Com-
pagnie a été, sinon d'amener l'eau au seuil, du moins
de l'en rapprocher; elle a continué un canal dérivé du
Nil qui venait à environ une dizaine de lieues du seuil,
et l'a conduit jusqu'à Timsah (dont je te parlerai tout
à l'heure), à 5 kilomètres du seuil. Les chameaux vont
continuellement y puiser l'eau dans des outres et l'ap-
portent au seuil, où elle est distribuée avec une grande
libéralité. Au moment de notre passage, il n'y avait
pas moins de quinze mille ouvriers répartis sur un es-
pace qui n'a guère plus de 3 à 4 kilomètres d'étendue.
Les travaux sont très-avancés, et à la fin du mois ou
au commencement de l'autre, .les eaux arriveront au
lac Timsah destiné à devenir le port intérieur du canal.
» On a beaucoup déclamé en Angleterre et un peu
en France contre le travail imposé aux Arabes. Il est
très-vrai que ce travail est obligé, mais chaque peuple
doit être pris suivant sa nature et ses habitudes. Cette
nature et ces habitudes peuvent se modifier avec le
temps ; sans doute, on peut désirer que cette modifi-
cation s'accomplisse un jour, mais, en attendant, il faut
bien mener un peuple selon ses mœurs actuelles, et non
d'après des utopies qu'il est douteux de voir se réaliser
jamais. Or, l'Egyptien est très-laborieux pour son pro-
pre compte, il travaille presque jour et nuit: il arrose,
il cultive, il moissonne son champ ; mais en dehors de
son intérêt direct et personnel, vous n'obtiendrez rien
de lui par la persuasion. Si un des canaux qui lui por-
tent l'eau et la vie, car partout où il n'y a pas d'eau en
Egypte il n'y a pas de vie, si, dis-je, un de ces canaux
s'obstrue par suite des dépôts du Nil, si une levée vient
à se crever, vous ne trouverez jamais un travailleur qui
consente à prêter librement son concours. Il faut que
l'autorité intervienne et procède par voie de corvée. S'il
en est ainsi pour les travaux qui ont ce que nous ap-
pellerions en France un intérêt commun, que sera-ce
pour les travaux publics ? A cet égard, il n'y a rien,
absolument rien de possible en Egypte que par la cor-
vée.
» Voici comment les choses sont arrangées. Le vice-
roi doit fournir à la Compagnie la quantité de tra-
vailleurs demandée (le nombre va en être prochaine-
ment porté à cinquante mille). Par quels moyens les
recrute-t-on? Ceci regarde le gouvernement, la Compa-
gnie n'a pas à s'en préoccuper. Les ouvriers sont à la
tâche, 0, 50, je crois, le mètre cube; ils ne restent sur
les travaux qu'un mois de suite, mais pendant ce mois
ils doivent avoir exécuté un certain nombre de mètres
cubes. Ils sont sous la direction de leurs cheiks ou
maires, lesquels veillent, dans leurs chantiers respec-
tifs, à ce que le travail des habitants d'un village n'in-
combe pas aux habitants d'un autre. Défense sévère à
tout agent de la Compagnie de frapper un Arabe, c'est
l'affaire des cheiks, s'ils le jugent convenable. L'eau
leur est donnée gratis et à discrétion, ce qui est un
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