Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1862-03-15
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4673 Nombre total de vues : 4673
Description : 15 mars 1862 15 mars 1862
Description : 1862/03/15 (A7,N138). 1862/03/15 (A7,N138).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6203292j
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/06/2012
Q2
L'ISTHME DE SUEZ,
hé, ainsi nommé parce qu'il est inondé de kiosques,
de rochers, de petites rivières et de petits lacs, le tout
formant un endroit de plaisance où les Chinois et au-
tres flâneurs viennent prendre, en quantité incommen-
surable, des tasses de thé microscopiques, sans aucune
espèce de sucre. Aujourd'hui, la splendeur de ce joli
jardin est quelque peu ternie, et les gazons de ses al-
lées, me rappellent les lisières du bois de Boulogne de
mon enfance. Il y a dix ans, Shang-Haï avait pour
toute garnison mille Chinois armés, Dieu sait comment;
aussi la ville fut-elle prise en 1853, par les rebelles,
qui levèrent un impôt de 32 millions, puis reprise par
le3 impériaux, qui exigèrent une indemmité de pareille
somme, et y placèrent mille hommes de plus pour la
défendre. On voit que les Chinois ont une grande ha-
bitude des indemnités, et que nos exigences ont dû leur
paraître bien douces pour tout le dérangement qu'ils
nous ont causé. -
» La concession française, ou la ville française,
comme tu voudras, est la moins importante, mais la
plus agréable. L'existence y est chère, surtout pour
les troupiers. Une chambre ordinaire nous coûte par
mois 10 piastres ou 55 francs environ, un domestique
5 piastres, et la nourriture 48 piastres: c'est dur. Nous
av.ons, en revanche, de charmantes promenades et le
turf. Je voyais dernièrement débarquer directement
d'Angleterre, pour les courses qui se préparent, une
quantité de jockeys et de chevaux du meilleur air et
du meilleur sang. Les sportsmen les reçoivent aux
portes des écuries d'entraînement, en groupes qui fe-
raient le plus grand honneur aux endroits les mieux
fréquentés du quartier des Champs-Elysées. Les quais
de Wampoa sont bordés de ravissants hôtels, de parcs,
de jardins ; les promeneurs à cheval et en voiture s'y
croisent comme dans l'avenue de l'Impératrice, et toute
cette foule est éblouissante et irréprochable de bon
ton. On débarquerait directement dans ce quartier splen-
dide qu'on ne se croirait pas en Chine.
» Je reviens aux Chinois. C'est un peuple extraordi-
naire ; plus on étudie ses facultés et ses ressorts intel-
lectuels, plus on demeure étonné de leur multiplicité
et de leur souplesse. J'ai entendu dire, je ne sais par
qui, que c'est l'excès de la civilisation qui a décivilisé les
Chinois. La question est trop profonde pour. un mili-
taire,. et je me garderai bien de l'aborder. Mais ce qui
est certain, c'est qu'ils poussent la bizarrerie' et l'in-
sensibilité à un point incroyable en certaines choses;
ils s'abrutissent d'opium à l'envi, ils tuent leurs en-
fants et ils s'ouvrent le ventre à la plus petite contra-
riété. D'un autre côté, rien n'est plus empreint de sin-
gularité et d'étrangeté que leur travaux, leur indus-
trie et leurs goûts. Ils n'imitent jamais la nature, mais
ils en sont arrivés à faire ce qu'on peut voir de plus
beau en laid ou de plus laid en beau. Ils contournent
et rabougrissent leurs arbres ; ils peignent des paysa-
ges où le ciel est rouge et la terre bleue. Ils mutilent
de la façon la plus affreuse les pieds de leurs femmes,
et passent des soirées entières à gratter des instruments
dont le bruit, en opposition directe avec toute espèce
d'harmonie, écorche les oreilles les plus barbares.
» Cependant ils déploient un art extrême en beau-
coup de choses. Leurs jardins rabougris sont des mer-
veilles de végétation forcée. Leurs peintures sont ad-
mirables de coloris et de finesse; les détails de leurs
sculptures sont fouillés d'une façon inconnue en Eu-
rope. Je ne dis rien de leurs étoffes ni de leurs porce-
laines qui, lorsqu'elles ne sont pas faite3 pour la paco-
tille, défient encore toute concurrence. Leurs femmes
seules marchant comme des canes et leur musique
agaçante, me semblent incompatibles avec toute idée
quelconque; c'est le point où les mœurs chinoises me
paraissent le plus indéchiffrables. Quoi qu'il en soit,
tel qu'il est, ce peuple réformé pourrait encore devenir
un grand peuple. Le sol est magnifique, le climat su-
perbe, et les habitants possèdent au plus haut degré
la faculté d'imiter les choses les plus inimitables. Le
général Montauban avait, bien compris tout le parti
qu'on pouvait tirer de cette expédition ; mais il eût
fallu une armée plus considérables, beaucoup d'argent
et des colons. Le temps n'est pas encore venu, mais
c'est déjà quelque chose d'avoir marqué ce but sur la
carte du monde.
» Sais-tu qui j'ai rencontré l'autre jour? Je te le
donne en mille. M***, notre ancien camarade de Saint-
Nicolas; il s'est fait jésuite, et je l'ai trouvé à Zi-Ka-
We, la maison de campagne des pères, située à quel-
ques lieues de Shang-Haï. Te dire ce que j'ai ressenti
eu retrouvant si loin de France et d'une façon si impré-
vue une figure amie est chose difficile ; il faut s'expa-
trier pour savoir ce que valent l'amitié et les souvenirs
d'enfance. M*** m'a rappelé que je lui avais dit un
jour que je ne comprenais que deux existences, celle
du prêtre ou celle du soldat. Ah 1 nous avons bien
parlé d'autrefois, de toi, de nos amis, de nos familles,
de la "France! Je suis resté un mois détaché à Zi-Ka-
We. Les pères jésuites élèvent de jeunes Chinois sau-
vés par les missionnaires, et ils en font des hommes
comme nous. J'ai suivi tous les exercices avec un zèle
qui m'a étonné moi-même, et pour prouver mon désir
de réformer le goût dans le Céleste-Empire, je me suis
mis à donner aux jeunes indigènes des leçons de sol-
fège et de violon. J'ai trouvé, je l'avoue, peu de dispo-
sitions chez mes élèves, mais ils sont pleins de recon-
naissance, et, pour me le témoigner, ils m'ont peint
trois magnifiques éventails qu'ils m'ont offerts à mon
départ avec force révérences. J'ai assisté enfin, dans
cet intéressant collège, à une distribution de prix qui ;
m'a encore rappelé de bons souvenirs.
» Le dîner qui a suivi cette solennité classique a pré-
senté un curieux spectacle. Nous avons eu des discours
en français, en chinois et en anglais, et des chansons
des plus intéressantes. L'une d'elles contenait un couplet
pour chaque convive, et il y en avait beaucoup, tous
diplomates, marins ou soldats ; on a ri de bon cœur,
je t'assure; les larmes nous sont venues aux yeux
plus d'une fois. C'est une des bonnes journées que j'au-
rai passées en Chine. On ne sait pas tout le bien que
font ici les jésuites et les missionnaires, toute la science
et toute l'intelligence que ces hommes répandent au-
tour d'eux ; tout le monde les estime et les vénère. »
L'ISTHME DE SUEZ,
hé, ainsi nommé parce qu'il est inondé de kiosques,
de rochers, de petites rivières et de petits lacs, le tout
formant un endroit de plaisance où les Chinois et au-
tres flâneurs viennent prendre, en quantité incommen-
surable, des tasses de thé microscopiques, sans aucune
espèce de sucre. Aujourd'hui, la splendeur de ce joli
jardin est quelque peu ternie, et les gazons de ses al-
lées, me rappellent les lisières du bois de Boulogne de
mon enfance. Il y a dix ans, Shang-Haï avait pour
toute garnison mille Chinois armés, Dieu sait comment;
aussi la ville fut-elle prise en 1853, par les rebelles,
qui levèrent un impôt de 32 millions, puis reprise par
le3 impériaux, qui exigèrent une indemmité de pareille
somme, et y placèrent mille hommes de plus pour la
défendre. On voit que les Chinois ont une grande ha-
bitude des indemnités, et que nos exigences ont dû leur
paraître bien douces pour tout le dérangement qu'ils
nous ont causé. -
» La concession française, ou la ville française,
comme tu voudras, est la moins importante, mais la
plus agréable. L'existence y est chère, surtout pour
les troupiers. Une chambre ordinaire nous coûte par
mois 10 piastres ou 55 francs environ, un domestique
5 piastres, et la nourriture 48 piastres: c'est dur. Nous
av.ons, en revanche, de charmantes promenades et le
turf. Je voyais dernièrement débarquer directement
d'Angleterre, pour les courses qui se préparent, une
quantité de jockeys et de chevaux du meilleur air et
du meilleur sang. Les sportsmen les reçoivent aux
portes des écuries d'entraînement, en groupes qui fe-
raient le plus grand honneur aux endroits les mieux
fréquentés du quartier des Champs-Elysées. Les quais
de Wampoa sont bordés de ravissants hôtels, de parcs,
de jardins ; les promeneurs à cheval et en voiture s'y
croisent comme dans l'avenue de l'Impératrice, et toute
cette foule est éblouissante et irréprochable de bon
ton. On débarquerait directement dans ce quartier splen-
dide qu'on ne se croirait pas en Chine.
» Je reviens aux Chinois. C'est un peuple extraordi-
naire ; plus on étudie ses facultés et ses ressorts intel-
lectuels, plus on demeure étonné de leur multiplicité
et de leur souplesse. J'ai entendu dire, je ne sais par
qui, que c'est l'excès de la civilisation qui a décivilisé les
Chinois. La question est trop profonde pour. un mili-
taire,. et je me garderai bien de l'aborder. Mais ce qui
est certain, c'est qu'ils poussent la bizarrerie' et l'in-
sensibilité à un point incroyable en certaines choses;
ils s'abrutissent d'opium à l'envi, ils tuent leurs en-
fants et ils s'ouvrent le ventre à la plus petite contra-
riété. D'un autre côté, rien n'est plus empreint de sin-
gularité et d'étrangeté que leur travaux, leur indus-
trie et leurs goûts. Ils n'imitent jamais la nature, mais
ils en sont arrivés à faire ce qu'on peut voir de plus
beau en laid ou de plus laid en beau. Ils contournent
et rabougrissent leurs arbres ; ils peignent des paysa-
ges où le ciel est rouge et la terre bleue. Ils mutilent
de la façon la plus affreuse les pieds de leurs femmes,
et passent des soirées entières à gratter des instruments
dont le bruit, en opposition directe avec toute espèce
d'harmonie, écorche les oreilles les plus barbares.
» Cependant ils déploient un art extrême en beau-
coup de choses. Leurs jardins rabougris sont des mer-
veilles de végétation forcée. Leurs peintures sont ad-
mirables de coloris et de finesse; les détails de leurs
sculptures sont fouillés d'une façon inconnue en Eu-
rope. Je ne dis rien de leurs étoffes ni de leurs porce-
laines qui, lorsqu'elles ne sont pas faite3 pour la paco-
tille, défient encore toute concurrence. Leurs femmes
seules marchant comme des canes et leur musique
agaçante, me semblent incompatibles avec toute idée
quelconque; c'est le point où les mœurs chinoises me
paraissent le plus indéchiffrables. Quoi qu'il en soit,
tel qu'il est, ce peuple réformé pourrait encore devenir
un grand peuple. Le sol est magnifique, le climat su-
perbe, et les habitants possèdent au plus haut degré
la faculté d'imiter les choses les plus inimitables. Le
général Montauban avait, bien compris tout le parti
qu'on pouvait tirer de cette expédition ; mais il eût
fallu une armée plus considérables, beaucoup d'argent
et des colons. Le temps n'est pas encore venu, mais
c'est déjà quelque chose d'avoir marqué ce but sur la
carte du monde.
» Sais-tu qui j'ai rencontré l'autre jour? Je te le
donne en mille. M***, notre ancien camarade de Saint-
Nicolas; il s'est fait jésuite, et je l'ai trouvé à Zi-Ka-
We, la maison de campagne des pères, située à quel-
ques lieues de Shang-Haï. Te dire ce que j'ai ressenti
eu retrouvant si loin de France et d'une façon si impré-
vue une figure amie est chose difficile ; il faut s'expa-
trier pour savoir ce que valent l'amitié et les souvenirs
d'enfance. M*** m'a rappelé que je lui avais dit un
jour que je ne comprenais que deux existences, celle
du prêtre ou celle du soldat. Ah 1 nous avons bien
parlé d'autrefois, de toi, de nos amis, de nos familles,
de la "France! Je suis resté un mois détaché à Zi-Ka-
We. Les pères jésuites élèvent de jeunes Chinois sau-
vés par les missionnaires, et ils en font des hommes
comme nous. J'ai suivi tous les exercices avec un zèle
qui m'a étonné moi-même, et pour prouver mon désir
de réformer le goût dans le Céleste-Empire, je me suis
mis à donner aux jeunes indigènes des leçons de sol-
fège et de violon. J'ai trouvé, je l'avoue, peu de dispo-
sitions chez mes élèves, mais ils sont pleins de recon-
naissance, et, pour me le témoigner, ils m'ont peint
trois magnifiques éventails qu'ils m'ont offerts à mon
départ avec force révérences. J'ai assisté enfin, dans
cet intéressant collège, à une distribution de prix qui ;
m'a encore rappelé de bons souvenirs.
» Le dîner qui a suivi cette solennité classique a pré-
senté un curieux spectacle. Nous avons eu des discours
en français, en chinois et en anglais, et des chansons
des plus intéressantes. L'une d'elles contenait un couplet
pour chaque convive, et il y en avait beaucoup, tous
diplomates, marins ou soldats ; on a ri de bon cœur,
je t'assure; les larmes nous sont venues aux yeux
plus d'une fois. C'est une des bonnes journées que j'au-
rai passées en Chine. On ne sait pas tout le bien que
font ici les jésuites et les missionnaires, toute la science
et toute l'intelligence que ces hommes répandent au-
tour d'eux ; tout le monde les estime et les vénère. »
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