Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1862-02-15
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4673 Nombre total de vues : 4673
Description : 15 février 1862 15 février 1862
Description : 1862/02/15 (A7,N136). 1862/02/15 (A7,N136).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6203290q
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/06/2012
JOURNAL DE L'UNION DES DEUX MERS. 63
Trop orgueilleuses pour se jeter à la tête desfvisi-
teurs, les jeunes filles attendaient, insoucieuses de
leur sort, mais pourtant pleines de confiance en leur
beauté, qu'on vînt les solliciter respectueusement, et
leur offrir des positions dignes de leur mérite.
Un sujet d'études m'était offert: il me parut inté-
ressant de comparer les allures de la galanterie aço-
rienne à celles des jolies pécheresses du quartier
Breda.
Les deux moças devinèrent sans doute mes inten-
tions , car elles échangèrent quelques mots à voix
basse, en jetant de mon côté un regard encoura-
geant ; puis, elles reprirent leur attitude abandon-
née. Il me sembla, malgré leur dédaigneux silence,
qu'elles s'apprêtaient à faire feu de toutes leurs bat-
teries. Je m'adressai d'abord à la joueuse de guitare.
Celle-ci, aux premières paroles que je proférai, cessa
de pincer les cordes de son instrument ; elle me dé-
cocha une œillade expressive, tout en penchant avec
grâce sa tête éveillée et mutine.
Cette œillade, cette tête soutenue par la main
droite, pendant que le coude s'appuie sur le genou,
ces narines frémissantes , comme les naseaux d'un
cheval à l'heure de la bataille , je connaissais cela.
Il n'est pas jusqu'au débraillé pittoresque des deux
moças à cet accroc du peignoir en percale, et aussi,
il faut bien l'avouer, à ce souverain mépris de la
propreté qui s'allie très-bien , chez ces créatures, à
une coquetterie excessive, qui ne me parurent au-
tant de signes caractéristiques de race,— signes qui
ne trompent pas plus à Paris qu'à Agra et à Sainte-
Marie. J'étais bien sûr maintenant du terrain sur
lequel je posais le pied : je me trouvais en présence
d'une lorette jaune.
A ma demande si elle ne désirait pas trouver une
condition, la joueuse de guitare m'avait répondu ,
avec un air de fierté et un laconisme digne, qu'on
rencontre peu, je suppose, dans les boudoirs des rues
Pigalle et la Rochefoucault : — « Cela dépend, senhor
Francès. »
Celle là aussi avait reconnu ma nationalité; mais
j'avais parlé, et mon accent m'avait trahi.
« — De quoi donc cela dépend-il, senhora? repris-
je. — De la condition qu'on voudrait me proposer.
— Mais encore, faudrait-il savoir ce que vous savez
faire? — Ne l'avez-vous pas deviné? dit-elle en sou-
riant. »
Sur ma réponse négative :
« — J'ai dix-neuf ans, je sais fumer des cigarettes,
manger des confitures, chanter et jouer de la gui-
tare » dit-elle en faisant un mouvement d'épaules
rempli de provocations, et en me lutinant du regard.
Ceci était assez catégorique, et cette fillette n'avait
que dix-neuf ans ! On est vraiment bien précoce dans
les îles portugaises. Je ne manquai pas de féliciter. la
moca des Açores sur d'aussi jolis et aussi nombreux
talents. Il y avait sans doute de la raillerie dans mon
accent et dans mon air.
« — Me trouvez-vous trop vieille ou pas assez sa-
vante? demanda-t-elle, en faisant une adorable petite
moue et en coquettant gentiment.
» — Trop jeune et trop savante, certes, répondis-
je, au point que je ne suis pas assez riche pour
payer comme il convient un pareil mérite.
» — Alors engagez-moi, senhor Francès, » dit sa
camarade en se mêlant à la conversation.
Elle venait d'écarter légèrement ses magnifiques
cheveux noirs, et elle passait à moitié, entre leurs
boucles luisantes, comme par une petite lucarne, sa
mélancolique figure. Ainsi provoqué, j'adressai à la
seconde moca la même question qu'à l'autre, à propos
de l'industrie qu'elle exerçait. Elle attacha sur moi le
plus langoureux de ses regards, et s'amusa à fouetter
ses épaules nues avec l'extrémité de deux tresses
parfumées, ce qui acheva de répandre sur sa per-
sonne une grâce indolente remplie de séductions.
« — Moi, dit-elle lentement et en caressant les
syllabes, j'ai moins de mérite que Sancha. L'île Gra-
ciosa m'a vue naître, il y aura vingt-deux ans le
jour de la fête de sainte Marguerite; j'adore les
fleurs et je me laisse aimer, voilà toute ma science »
Que pensez-vous de cet aplomb ? C'était, on le voit,
la naïveté dans le cynisme ; on n'eût certes pas dit
aussi bien au Casino. Décidément l'éducation des
Açoriennes ne laisse rien à désirer.
« — Se laisser aimer, repris-je, est une grande fa-
veur, sans doute, et celui auquel vous l'accorderez
devra s'estimer fort heureux; mais, pourtant, ses
désirs iront plus loin encore. — Je vous comprends,
dit-elle en minaudant. — Votre cœur est-il si désa-
busé déjà, qu'il ne puisse plus partager les sentiments
que vos beaux yeux inspirent? »
Ce compliment parut lui plaire. Elle dégagea com-
plètement son front des cheveux qui le voilaient en-
core et lia, avec une lenteur charmante, sous le men-
ton, les deux tresses qu'elle tenait à la main, plaçant
ainsi son pâle visage dans un cadre splendide.
« — Les senhores de votre pays sont fort galants,
mais ils sont fort trompeurs aussi, observa-t-elle en
hochant la tête. N'importe! j'ai foi en mon étoile.
Payez mon passage au capitaine, et si voulez me
donner une robe de soie, une ombrelle, des bottines
vernies, des fleurs et des confitures, je promets de
vous aimer, dit-elle en montrant dans un sourire les
perles éblouissantes qui garnissaient sa bouche.
» — Puisque vous n'êtes pas plus exigeante,
senhora. »
Elle ne me laissa point achever ma phrase.
« Attendez ; j'ai oublié une des plus importantes,
sinon la plus importante de mes conditions.
» - Je vous écoute.
» — 11 faudra aussi me faire servir à ma fantaisie,
Trop orgueilleuses pour se jeter à la tête desfvisi-
teurs, les jeunes filles attendaient, insoucieuses de
leur sort, mais pourtant pleines de confiance en leur
beauté, qu'on vînt les solliciter respectueusement, et
leur offrir des positions dignes de leur mérite.
Un sujet d'études m'était offert: il me parut inté-
ressant de comparer les allures de la galanterie aço-
rienne à celles des jolies pécheresses du quartier
Breda.
Les deux moças devinèrent sans doute mes inten-
tions , car elles échangèrent quelques mots à voix
basse, en jetant de mon côté un regard encoura-
geant ; puis, elles reprirent leur attitude abandon-
née. Il me sembla, malgré leur dédaigneux silence,
qu'elles s'apprêtaient à faire feu de toutes leurs bat-
teries. Je m'adressai d'abord à la joueuse de guitare.
Celle-ci, aux premières paroles que je proférai, cessa
de pincer les cordes de son instrument ; elle me dé-
cocha une œillade expressive, tout en penchant avec
grâce sa tête éveillée et mutine.
Cette œillade, cette tête soutenue par la main
droite, pendant que le coude s'appuie sur le genou,
ces narines frémissantes , comme les naseaux d'un
cheval à l'heure de la bataille , je connaissais cela.
Il n'est pas jusqu'au débraillé pittoresque des deux
moças à cet accroc du peignoir en percale, et aussi,
il faut bien l'avouer, à ce souverain mépris de la
propreté qui s'allie très-bien , chez ces créatures, à
une coquetterie excessive, qui ne me parurent au-
tant de signes caractéristiques de race,— signes qui
ne trompent pas plus à Paris qu'à Agra et à Sainte-
Marie. J'étais bien sûr maintenant du terrain sur
lequel je posais le pied : je me trouvais en présence
d'une lorette jaune.
A ma demande si elle ne désirait pas trouver une
condition, la joueuse de guitare m'avait répondu ,
avec un air de fierté et un laconisme digne, qu'on
rencontre peu, je suppose, dans les boudoirs des rues
Pigalle et la Rochefoucault : — « Cela dépend, senhor
Francès. »
Celle là aussi avait reconnu ma nationalité; mais
j'avais parlé, et mon accent m'avait trahi.
« — De quoi donc cela dépend-il, senhora? repris-
je. — De la condition qu'on voudrait me proposer.
— Mais encore, faudrait-il savoir ce que vous savez
faire? — Ne l'avez-vous pas deviné? dit-elle en sou-
riant. »
Sur ma réponse négative :
« — J'ai dix-neuf ans, je sais fumer des cigarettes,
manger des confitures, chanter et jouer de la gui-
tare » dit-elle en faisant un mouvement d'épaules
rempli de provocations, et en me lutinant du regard.
Ceci était assez catégorique, et cette fillette n'avait
que dix-neuf ans ! On est vraiment bien précoce dans
les îles portugaises. Je ne manquai pas de féliciter. la
moca des Açores sur d'aussi jolis et aussi nombreux
talents. Il y avait sans doute de la raillerie dans mon
accent et dans mon air.
« — Me trouvez-vous trop vieille ou pas assez sa-
vante? demanda-t-elle, en faisant une adorable petite
moue et en coquettant gentiment.
» — Trop jeune et trop savante, certes, répondis-
je, au point que je ne suis pas assez riche pour
payer comme il convient un pareil mérite.
» — Alors engagez-moi, senhor Francès, » dit sa
camarade en se mêlant à la conversation.
Elle venait d'écarter légèrement ses magnifiques
cheveux noirs, et elle passait à moitié, entre leurs
boucles luisantes, comme par une petite lucarne, sa
mélancolique figure. Ainsi provoqué, j'adressai à la
seconde moca la même question qu'à l'autre, à propos
de l'industrie qu'elle exerçait. Elle attacha sur moi le
plus langoureux de ses regards, et s'amusa à fouetter
ses épaules nues avec l'extrémité de deux tresses
parfumées, ce qui acheva de répandre sur sa per-
sonne une grâce indolente remplie de séductions.
« — Moi, dit-elle lentement et en caressant les
syllabes, j'ai moins de mérite que Sancha. L'île Gra-
ciosa m'a vue naître, il y aura vingt-deux ans le
jour de la fête de sainte Marguerite; j'adore les
fleurs et je me laisse aimer, voilà toute ma science »
Que pensez-vous de cet aplomb ? C'était, on le voit,
la naïveté dans le cynisme ; on n'eût certes pas dit
aussi bien au Casino. Décidément l'éducation des
Açoriennes ne laisse rien à désirer.
« — Se laisser aimer, repris-je, est une grande fa-
veur, sans doute, et celui auquel vous l'accorderez
devra s'estimer fort heureux; mais, pourtant, ses
désirs iront plus loin encore. — Je vous comprends,
dit-elle en minaudant. — Votre cœur est-il si désa-
busé déjà, qu'il ne puisse plus partager les sentiments
que vos beaux yeux inspirent? »
Ce compliment parut lui plaire. Elle dégagea com-
plètement son front des cheveux qui le voilaient en-
core et lia, avec une lenteur charmante, sous le men-
ton, les deux tresses qu'elle tenait à la main, plaçant
ainsi son pâle visage dans un cadre splendide.
« — Les senhores de votre pays sont fort galants,
mais ils sont fort trompeurs aussi, observa-t-elle en
hochant la tête. N'importe! j'ai foi en mon étoile.
Payez mon passage au capitaine, et si voulez me
donner une robe de soie, une ombrelle, des bottines
vernies, des fleurs et des confitures, je promets de
vous aimer, dit-elle en montrant dans un sourire les
perles éblouissantes qui garnissaient sa bouche.
» — Puisque vous n'êtes pas plus exigeante,
senhora. »
Elle ne me laissa point achever ma phrase.
« Attendez ; j'ai oublié une des plus importantes,
sinon la plus importante de mes conditions.
» - Je vous écoute.
» — 11 faudra aussi me faire servir à ma fantaisie,
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.94%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.94%.
- Collections numériques similaires Thématique : ingénierie, génie civil Thématique : ingénierie, génie civil /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "EnPCthèm02"Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "EnPCcorp11" Corpus : ports et travaux maritimes Corpus : ports et travaux maritimes /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "EnPCcorp16"
- Auteurs similaires Desplaces Ernest Desplaces Ernest /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Desplaces Ernest" or dc.contributor adj "Desplaces Ernest")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 15/16
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://heritage.ecoledesponts.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k6203290q/f15.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://heritage.ecoledesponts.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k6203290q/f15.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://heritage.ecoledesponts.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k6203290q/f15.image
- Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://heritage.ecoledesponts.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k6203290q
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://heritage.ecoledesponts.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k6203290q
Facebook
Twitter