Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1861-09-15
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 15 septembre 1861 15 septembre 1861
Description : 1861/09/15 (A6,N126). 1861/09/15 (A6,N126).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6203279p
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 14/06/2012
JOURNAL DE L'UNION DES DEUX MERS. SOI
auquel ils ont droit. Ils frappent et tuent impuné-
ment.
La scène change pourtant, quand ils rencontrent de-
vant eux une sérieuse résistance, telle qu'ont l'habitude
d'en opposer les Européens. M. Alcock raconte une de
ces batailles dans une de ses lettres officielles adressées
au gouvernement anglais. C'était au mois de novembre
1859. < Je tombai tout à coup, dit-il, dans un groupe
de ces officiers attachés à la personne des seigneurs ; ils
barraient la route et injuriaient les passants. Un d'entre
eux, plus ivre ou plus insolent que les autres, tira son
poignard et en frappa un homme de ma suite. Je cou-
rus au secours de la victime, mais malheureusement,
je n'avais que ma cravache, et j'eusse sans doute subi
le même sort, ainsi que mes autres serviteurs, si, par
bonheur, mon groom n'avait eu un pistolet avec lequel
il menaça l'assassin de le tuer immédiatement au cas
où ce dernier ne rengainerait pas son épée, ce qu'il fit,
du reste, immédiatement à la vue du pistolet.
» Il n'y a pas de loi contre de tels excès, ajoute
M. Alcock, pas de pénalité contre de pareils misé-
rables. »
Tel est l'état intérieur du Japon ; le régime féodal,
qui y domine, emporte avec lui toutes les violences et
tous les dérèglements dont l'Europe fut ensanglantée
au moyen âge. Lorsque le premier traité fut signé par
le ministre américain, M. Harris, il trouva devant lui
un grand conseil composé des princes et seigneurs féo-
daux, sous la présidence nominale d'un empereur en-
fant. Deux partis divisent ce conseil : l'un, par intérêt
personnel ou par sentiment patriotique, marche dans
le sens du progrès et désire ouvrir le Japon aux étran-
gers ; l'autre est déterminé à maintenir l'ancien état
de choses et à écarter à tout prix tout ce qui pourrait
venir le modifier. De récents événements ont révélé à
quel degré l'antagonisme était porté entre les rivaux.
A la tête du parti européen marche le prince de Meto,
chef d'une des maisons royales, en sa qualité de des-
cendant d'un des trois frères qui ont fondé la dynastie
actuelle. C'est lui qui signa le traité avec les Améri-
cains, et sa déposition suivit de près cet acte. Il fut
précipité du pouvoir par le parti dominant que dirige le
régent héréditaire ou gotiro. Il y a longtemps, semble-
t-il, que la branche cadette de Meto fournit des chefs
aux mécontents. Elle aspire à régner suivant l'usage, et
elle a vu sans doute dans l'alliance avec les étrangers
un moyen politique de briser cette puissante oligarchie
qui lui ferme les avenues d'un trône occupé par un en-
fant.
C'est cette déposition du prince de Meto qui entraîna
à sa suite un des drames les plus singuliers du xH."
siècle.
Nous avons laissé des pèlerins en prière sur la monta-
gne sacrée. Le lendemain du jour où ils venaient d'en-
trer ainsi dans Yeddo (c'était le 24 mars 1860), à 10
heures du matin, le régent du royaume se rendait au
palais de l'empereur, où l'appelaient les devoirs journa-
liers de sa charge. Il marchait entouré de son cortége
ordinaire : officiers, porte-étendards, porteurs de para--
sols et suite assortie de valets chargés de ces nombreux
ustensiles qui accompagnent toujours un grand seigneur
en Orient. Assis dans une sorte de cage ou de chaise à
porteurs, de dimension à ne contenir qu'une seule per-
sonne, le régent formait le centre du groupe. La dis-
tance à parcourir était d'environ 500 mètres. Deux rues
montaient de chaque côté et venaient aboutir à un pont
qui donne accès dans le palais impérial ; on était donc
dans une sorte de carrefour. Au moment où le régent,
allait s'engager sur le pont, les cortéges de deux des
frères de l'empereur vinrent à déboucher du palais, et
il se produisit un temps d'arrêt. Un petit groupe
d'hommes enveloppés dans leurs manteaux de papier
huilé, avec de grands chapeaux circulaires à larges
bords en osier ou en laque, se tenait silencieusement
accoudé le long des parapets du pont. Dès que l'em-
barras se produisit, un d'entre eux se porta dans le mi.
lieu du chemin comme pour barrer le passage au cor-
tège, et les officiers qui se tenaient aux portières de la
litière,se portèrent en avant pour chasser l'insolent. Mou-
vement fatal ! En moins d'un instant le groupe s'élança,
tout entier, les poignards brillèrent au bout d'une
vingtaine de bras; les manteaux de toile cirée disparu-
rent pour laisser voir des cottes de maille, et la mêlée
s'engagea.
Avant pourtant qu'aucun de ses serviteurs eût pu
accourir à son secours, le régent fut tué et sa tête sé-
parée du tronc enlevée par un des assassins. Cet exploit
accompli, les complices ne résistèrent que le temps né-
cessaire pour assurer la fuite de leurs camarades. Alors
commença une terrible poursuite. Deux des assaillants
se sentant blessés et incapables d'échapper, s'arrêtèrent
et s'ouvrirent le ventre eux-mêmes, dévouement ou
résignation qui les rendit immédiatement sacrés pour
les poursuivants. Ce ne fut pas là pourtant l'acte le
plus singulier de ce terrible drame. Quand on atteignit
celui qui portait la tête, on découvrit que c'était une
autre tète qui avait été préparée de façon à attirer la
poursuite du côté de celui qui la portait, et à permettre
à celui qui emportait réellement le sanglant trophée
de le mettre en sûreté. En une heure tout Yeddo fut
dans une inexprimable émotion; toute la force et la po-
lice furent mises sur pied; on traqua et on prit tous
les assassins ; ils périrent dans les tortures, mais un
profond mystère a toujours enveloppé leurs révélations.
Le gouvernement accuse le prince de Meto ; on ne le
croit qu'à moitié, et il circule à ce sujet, dans le peu-
ple,un ingénieux rébus. Une pancarte représente la
conseil des ministres en caractères chinois, mais avec
dessuppressions dont les lettres groupées forment le mot
bouche, ce qui signifie que les aveux des assassins ont
fermé la bouche au gouvernement.
Tel est l'état du Japon, où la position des Européens
n'a cessé depuis lors de devenir plus précaire ; un nou-
vel interprète vient d'être encore assassiné, et la plu-
part des consuls ont cru devoir se retirer. Mais quelque
précaire que soit cette situation, il ne faut pas oublier
ce que nous disions en commençant; il y a là une na-
tion essentiellement progressive, qui a déjà donné ac-
cès aux plus puissants instruments de la civilisation
moderne.
Le Gérant ; ERNEST DESPLACES.
auquel ils ont droit. Ils frappent et tuent impuné-
ment.
La scène change pourtant, quand ils rencontrent de-
vant eux une sérieuse résistance, telle qu'ont l'habitude
d'en opposer les Européens. M. Alcock raconte une de
ces batailles dans une de ses lettres officielles adressées
au gouvernement anglais. C'était au mois de novembre
1859. < Je tombai tout à coup, dit-il, dans un groupe
de ces officiers attachés à la personne des seigneurs ; ils
barraient la route et injuriaient les passants. Un d'entre
eux, plus ivre ou plus insolent que les autres, tira son
poignard et en frappa un homme de ma suite. Je cou-
rus au secours de la victime, mais malheureusement,
je n'avais que ma cravache, et j'eusse sans doute subi
le même sort, ainsi que mes autres serviteurs, si, par
bonheur, mon groom n'avait eu un pistolet avec lequel
il menaça l'assassin de le tuer immédiatement au cas
où ce dernier ne rengainerait pas son épée, ce qu'il fit,
du reste, immédiatement à la vue du pistolet.
» Il n'y a pas de loi contre de tels excès, ajoute
M. Alcock, pas de pénalité contre de pareils misé-
rables. »
Tel est l'état intérieur du Japon ; le régime féodal,
qui y domine, emporte avec lui toutes les violences et
tous les dérèglements dont l'Europe fut ensanglantée
au moyen âge. Lorsque le premier traité fut signé par
le ministre américain, M. Harris, il trouva devant lui
un grand conseil composé des princes et seigneurs féo-
daux, sous la présidence nominale d'un empereur en-
fant. Deux partis divisent ce conseil : l'un, par intérêt
personnel ou par sentiment patriotique, marche dans
le sens du progrès et désire ouvrir le Japon aux étran-
gers ; l'autre est déterminé à maintenir l'ancien état
de choses et à écarter à tout prix tout ce qui pourrait
venir le modifier. De récents événements ont révélé à
quel degré l'antagonisme était porté entre les rivaux.
A la tête du parti européen marche le prince de Meto,
chef d'une des maisons royales, en sa qualité de des-
cendant d'un des trois frères qui ont fondé la dynastie
actuelle. C'est lui qui signa le traité avec les Améri-
cains, et sa déposition suivit de près cet acte. Il fut
précipité du pouvoir par le parti dominant que dirige le
régent héréditaire ou gotiro. Il y a longtemps, semble-
t-il, que la branche cadette de Meto fournit des chefs
aux mécontents. Elle aspire à régner suivant l'usage, et
elle a vu sans doute dans l'alliance avec les étrangers
un moyen politique de briser cette puissante oligarchie
qui lui ferme les avenues d'un trône occupé par un en-
fant.
C'est cette déposition du prince de Meto qui entraîna
à sa suite un des drames les plus singuliers du xH."
siècle.
Nous avons laissé des pèlerins en prière sur la monta-
gne sacrée. Le lendemain du jour où ils venaient d'en-
trer ainsi dans Yeddo (c'était le 24 mars 1860), à 10
heures du matin, le régent du royaume se rendait au
palais de l'empereur, où l'appelaient les devoirs journa-
liers de sa charge. Il marchait entouré de son cortége
ordinaire : officiers, porte-étendards, porteurs de para--
sols et suite assortie de valets chargés de ces nombreux
ustensiles qui accompagnent toujours un grand seigneur
en Orient. Assis dans une sorte de cage ou de chaise à
porteurs, de dimension à ne contenir qu'une seule per-
sonne, le régent formait le centre du groupe. La dis-
tance à parcourir était d'environ 500 mètres. Deux rues
montaient de chaque côté et venaient aboutir à un pont
qui donne accès dans le palais impérial ; on était donc
dans une sorte de carrefour. Au moment où le régent,
allait s'engager sur le pont, les cortéges de deux des
frères de l'empereur vinrent à déboucher du palais, et
il se produisit un temps d'arrêt. Un petit groupe
d'hommes enveloppés dans leurs manteaux de papier
huilé, avec de grands chapeaux circulaires à larges
bords en osier ou en laque, se tenait silencieusement
accoudé le long des parapets du pont. Dès que l'em-
barras se produisit, un d'entre eux se porta dans le mi.
lieu du chemin comme pour barrer le passage au cor-
tège, et les officiers qui se tenaient aux portières de la
litière,se portèrent en avant pour chasser l'insolent. Mou-
vement fatal ! En moins d'un instant le groupe s'élança,
tout entier, les poignards brillèrent au bout d'une
vingtaine de bras; les manteaux de toile cirée disparu-
rent pour laisser voir des cottes de maille, et la mêlée
s'engagea.
Avant pourtant qu'aucun de ses serviteurs eût pu
accourir à son secours, le régent fut tué et sa tête sé-
parée du tronc enlevée par un des assassins. Cet exploit
accompli, les complices ne résistèrent que le temps né-
cessaire pour assurer la fuite de leurs camarades. Alors
commença une terrible poursuite. Deux des assaillants
se sentant blessés et incapables d'échapper, s'arrêtèrent
et s'ouvrirent le ventre eux-mêmes, dévouement ou
résignation qui les rendit immédiatement sacrés pour
les poursuivants. Ce ne fut pas là pourtant l'acte le
plus singulier de ce terrible drame. Quand on atteignit
celui qui portait la tête, on découvrit que c'était une
autre tète qui avait été préparée de façon à attirer la
poursuite du côté de celui qui la portait, et à permettre
à celui qui emportait réellement le sanglant trophée
de le mettre en sûreté. En une heure tout Yeddo fut
dans une inexprimable émotion; toute la force et la po-
lice furent mises sur pied; on traqua et on prit tous
les assassins ; ils périrent dans les tortures, mais un
profond mystère a toujours enveloppé leurs révélations.
Le gouvernement accuse le prince de Meto ; on ne le
croit qu'à moitié, et il circule à ce sujet, dans le peu-
ple,un ingénieux rébus. Une pancarte représente la
conseil des ministres en caractères chinois, mais avec
dessuppressions dont les lettres groupées forment le mot
bouche, ce qui signifie que les aveux des assassins ont
fermé la bouche au gouvernement.
Tel est l'état du Japon, où la position des Européens
n'a cessé depuis lors de devenir plus précaire ; un nou-
vel interprète vient d'être encore assassiné, et la plu-
part des consuls ont cru devoir se retirer. Mais quelque
précaire que soit cette situation, il ne faut pas oublier
ce que nous disions en commençant; il y a là une na-
tion essentiellement progressive, qui a déjà donné ac-
cès aux plus puissants instruments de la civilisation
moderne.
Le Gérant ; ERNEST DESPLACES.
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