Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1861-09-15
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4673 Nombre total de vues : 4673
Description : 15 septembre 1861 15 septembre 1861
Description : 1861/09/15 (A6,N126). 1861/09/15 (A6,N126).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6203279p
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 14/06/2012
JOURNAL DE L'UNION DES DEUX MERS. 299
naturelles à une civilisation progressive, mais il ne faut
pas en augurer que l'état social actuel qu'ont les Ja-
ponais réponde à ces signes partiels. Voyons d'abord
comment ils parlent. Les langues sont le miroir des
nations; les mœurs s'y reflètent dans leur expression
même ; le génie du langage naît du génie de la pen
sée, et la syntaxe d'un peuple est souvent le premier
de ses codes. Un des premiers résultats de la résidence
permanente d'Européens dans la capitale du Japon a
été la publication d'une grammaire japonaise par le
ministre plénipotentiaire de l'Angleterre à Yeddo. « Les
Japonais, dit-il, sont la seule nation où l'on rencontre
la juxtaposition d'une langue hiéroglyphique emprun-
tée à un peuple étranger (la Chine) et d'une langue
phonétique entièrement nationale. Cette dernière n'est
venue que bien des années après l'autre, et pourtant
elle ne l'a pas détrônée. Les deux systèmes de langage,
entièrement différents, se sont maintenus en vigueur
au même degré, se côtoyant sans s'exclure, et égale-
ment en usage jusqu'à ce jour. » Il en résulte que
chaque objet a deux façons de s'exprimer, et, bien que
ce dualisme soit le fond même de la nature humaine,
les Japonais paraissent en avoir porté les'conséquences
à un degré extraordinaire. Cette tendance a enfanté
dans tous les ordres de leur vie une infinie variété de
combinaisons politiques, sociales et intellectuelles. Tout
est double au Japon, depuis le souverain jusqu'au fac-
teur de la poste ; tout marche par couples. Vous de-
mandez un interprète; il tarde à paraître, vous vous
plaignez, on vous répond qu'il ne peut venir sans son
ombre. Si l'objection vous parait nouvelle ou bizarre, on
vous explique que cette ombre est son omet:y, littérale-
ment - l'œil qui regarde à travers, » en bon français,
un espion sans lequel il ne serait pas sage pour lui
d'entrer en fonctions, parce que Vomeizy est supposé de-
voir servir de témoin de la loyauté de sa conduite.
Une autre particularité non moins curieuse de ce
pays, c'est l'absence de genres pour les noms et pour
les pronoms personnels. On n'y connaît pas la différence
du masculin et du féminin, et, par une conséquence
bizarre, mais logique, il semble que la distinction des
sexes n'ait pu trouver place non plus dans la vie pra-
tique. Là, comme chez tous les Orientaux, le bain joue
un rôle hygiénique important dans les mœurs japo-
naises; or. dans leurs bains, hommes et femmes, jeunes
garçons et jeunes filles se trouvent réunis constam-
ment dans la même piscine, aux mêmes heures, sans
que leur pudeur paraisse jamais avoir pensé à s'alar-
mer de cette promiscui é sans peur et sans reproche.
Ce qui se passe dans les établissements publics est ad-
mis également dans les familles, où non-seulement le
père, la mère et les enfants, le frère et la sœur, mais
aussi les amis et les hôtes se baignent en commun et
sans aucun vêtement. Quant à en tirer une induction
sur la moralité générale de la nation, c'est une thèse
délicate. Chaque race a des idées différentes sur le sen-
timent moral au point de vue physique ; et, quoique le
concubinage et la prostitution paraissent avoir été éle-
vés au Japon à la hauteur d'institutions publiques, il
ne paraît pas jusqu'à présent qu'on ait remarqué parmi
les indigènes des signes d'un dérèglement plus violent
que dans le reste de l'Orient, où l'on cache les femigog
à tous les yeux avec une jalouse sévérité.
En poursuivant cette curieuse comparaison de la lan-
gue et des mœurs, on constate ensuite ce fait que cettQ
nation se sert ici rarement des pronoms personnels,
quoiqu'ils existent. Ainsi, un Japonais ne dit presque
jamais vous, tu, il, l'habitude veut qu'il emploie les
noms mêmes, avec accolement d'épithètes exprimant
divers degrés de respect ou d'humilité, à peu prèâf
comme les valets en France, qui usent de la formule
monsieur ou monsieur le duc désire, demande, etc.; mais les
formules au Japon varient à l'infini ; la conversation
se trouve hérissée d'une incroyable variété de proto-
coles qui s'appliquent à chaque personne dont il est
question. 11 n'est permis à personne d'en ignorer l'u,
sage, car ce n'est point seulement un solécisme de lan-
gage que l'on commet, mais aussi et surtout un solé-
cisme de convenance.
Quant à l'affirmation du moi, quant au pronom je, il
a autant de manière de s'exprimer qu'il doit rendre de
sentiments divers. Parlez-vous à un supérieur? Je, se
dira témaié, littéralement celui qui est dans votre main.
Etes-vous indépendant de votre interlocuteur? Vous di-
rez wutalsooski, littéralement, ma personne, moi, la tête
haute, etc., etc.
Expliquons maintenant comment cette phraséologie
n'est que le reflet des sentiments. Au premier abord,
on pourrait en induire une tendance à une humilité
personnelle qui est loin d'être en rapport avec ce qu'on
rapporte du caractère de ce peuple. Le Japonais est fier
de sa race et de sa nation ; il est très-jaloux de sa di-
gnité personnelle et très-sensible à tout affront, même
à toute négligence dans les égards qui lui sont dus,
d'après l'usage ; mais c'est cette fierté même qui l'a
conduit à devenir un peuple cérémonieux et pointilleux.
à un degré extrême, et tout cet arsenal de qualificatifs
n'est que l'expression de ce travers aristocratique qui
fait de chaque indigène une façon de Dangeau toujours
en garde contre les fautes d'étiquette. Au fond, en effet,
sous toutes ces nuances plus ou moins respectueuses
par lesquelles ce peuple s'applique à distribuer à cha-
cun une sorte de distinction honorifique«où se cache plus
d'orgueil que d'humilité, chacun exige de son inférieur
ce qu'il rend à son supérieur, et pourtant,'quoi qu'il en
soit de ces satisfactions d'amour-propre, la déduction
la plus vraie qu'on puisse tirer de cette absence d'ex-
pression nette pour affirmer l'individualité dans le lan:"
gage, c'est qu'à tout prendre, sous le gouvernement
mélangé de despotisme et de féodalité qui le régit, le
peuple japonais n'est point en possession d'une vérita-
ble liberté personnelle ; il est, comme ses pronoms, plu-
tôt une formule d'honneur ou de dignité qu'un citoyen
ou qu'un homme. Le moi n'est pas plus dans les mœurs
que dans les mots.
Cette observation nous conduit tout droit à examiner
le régime qui domine en 1861 au Japon ; il offre la plus
intéressante ressemblance avec l'état féodal qui florissaii
en Europe au temps des Plantagenets et des Tudors; et,
pour démontrer la vérité de cette assertion, nous ne
saurions imaginer un moyen plus simple que -de- propo-
naturelles à une civilisation progressive, mais il ne faut
pas en augurer que l'état social actuel qu'ont les Ja-
ponais réponde à ces signes partiels. Voyons d'abord
comment ils parlent. Les langues sont le miroir des
nations; les mœurs s'y reflètent dans leur expression
même ; le génie du langage naît du génie de la pen
sée, et la syntaxe d'un peuple est souvent le premier
de ses codes. Un des premiers résultats de la résidence
permanente d'Européens dans la capitale du Japon a
été la publication d'une grammaire japonaise par le
ministre plénipotentiaire de l'Angleterre à Yeddo. « Les
Japonais, dit-il, sont la seule nation où l'on rencontre
la juxtaposition d'une langue hiéroglyphique emprun-
tée à un peuple étranger (la Chine) et d'une langue
phonétique entièrement nationale. Cette dernière n'est
venue que bien des années après l'autre, et pourtant
elle ne l'a pas détrônée. Les deux systèmes de langage,
entièrement différents, se sont maintenus en vigueur
au même degré, se côtoyant sans s'exclure, et égale-
ment en usage jusqu'à ce jour. » Il en résulte que
chaque objet a deux façons de s'exprimer, et, bien que
ce dualisme soit le fond même de la nature humaine,
les Japonais paraissent en avoir porté les'conséquences
à un degré extraordinaire. Cette tendance a enfanté
dans tous les ordres de leur vie une infinie variété de
combinaisons politiques, sociales et intellectuelles. Tout
est double au Japon, depuis le souverain jusqu'au fac-
teur de la poste ; tout marche par couples. Vous de-
mandez un interprète; il tarde à paraître, vous vous
plaignez, on vous répond qu'il ne peut venir sans son
ombre. Si l'objection vous parait nouvelle ou bizarre, on
vous explique que cette ombre est son omet:y, littérale-
ment - l'œil qui regarde à travers, » en bon français,
un espion sans lequel il ne serait pas sage pour lui
d'entrer en fonctions, parce que Vomeizy est supposé de-
voir servir de témoin de la loyauté de sa conduite.
Une autre particularité non moins curieuse de ce
pays, c'est l'absence de genres pour les noms et pour
les pronoms personnels. On n'y connaît pas la différence
du masculin et du féminin, et, par une conséquence
bizarre, mais logique, il semble que la distinction des
sexes n'ait pu trouver place non plus dans la vie pra-
tique. Là, comme chez tous les Orientaux, le bain joue
un rôle hygiénique important dans les mœurs japo-
naises; or. dans leurs bains, hommes et femmes, jeunes
garçons et jeunes filles se trouvent réunis constam-
ment dans la même piscine, aux mêmes heures, sans
que leur pudeur paraisse jamais avoir pensé à s'alar-
mer de cette promiscui é sans peur et sans reproche.
Ce qui se passe dans les établissements publics est ad-
mis également dans les familles, où non-seulement le
père, la mère et les enfants, le frère et la sœur, mais
aussi les amis et les hôtes se baignent en commun et
sans aucun vêtement. Quant à en tirer une induction
sur la moralité générale de la nation, c'est une thèse
délicate. Chaque race a des idées différentes sur le sen-
timent moral au point de vue physique ; et, quoique le
concubinage et la prostitution paraissent avoir été éle-
vés au Japon à la hauteur d'institutions publiques, il
ne paraît pas jusqu'à présent qu'on ait remarqué parmi
les indigènes des signes d'un dérèglement plus violent
que dans le reste de l'Orient, où l'on cache les femigog
à tous les yeux avec une jalouse sévérité.
En poursuivant cette curieuse comparaison de la lan-
gue et des mœurs, on constate ensuite ce fait que cettQ
nation se sert ici rarement des pronoms personnels,
quoiqu'ils existent. Ainsi, un Japonais ne dit presque
jamais vous, tu, il, l'habitude veut qu'il emploie les
noms mêmes, avec accolement d'épithètes exprimant
divers degrés de respect ou d'humilité, à peu prèâf
comme les valets en France, qui usent de la formule
monsieur ou monsieur le duc désire, demande, etc.; mais les
formules au Japon varient à l'infini ; la conversation
se trouve hérissée d'une incroyable variété de proto-
coles qui s'appliquent à chaque personne dont il est
question. 11 n'est permis à personne d'en ignorer l'u,
sage, car ce n'est point seulement un solécisme de lan-
gage que l'on commet, mais aussi et surtout un solé-
cisme de convenance.
Quant à l'affirmation du moi, quant au pronom je, il
a autant de manière de s'exprimer qu'il doit rendre de
sentiments divers. Parlez-vous à un supérieur? Je, se
dira témaié, littéralement celui qui est dans votre main.
Etes-vous indépendant de votre interlocuteur? Vous di-
rez wutalsooski, littéralement, ma personne, moi, la tête
haute, etc., etc.
Expliquons maintenant comment cette phraséologie
n'est que le reflet des sentiments. Au premier abord,
on pourrait en induire une tendance à une humilité
personnelle qui est loin d'être en rapport avec ce qu'on
rapporte du caractère de ce peuple. Le Japonais est fier
de sa race et de sa nation ; il est très-jaloux de sa di-
gnité personnelle et très-sensible à tout affront, même
à toute négligence dans les égards qui lui sont dus,
d'après l'usage ; mais c'est cette fierté même qui l'a
conduit à devenir un peuple cérémonieux et pointilleux.
à un degré extrême, et tout cet arsenal de qualificatifs
n'est que l'expression de ce travers aristocratique qui
fait de chaque indigène une façon de Dangeau toujours
en garde contre les fautes d'étiquette. Au fond, en effet,
sous toutes ces nuances plus ou moins respectueuses
par lesquelles ce peuple s'applique à distribuer à cha-
cun une sorte de distinction honorifique«où se cache plus
d'orgueil que d'humilité, chacun exige de son inférieur
ce qu'il rend à son supérieur, et pourtant,'quoi qu'il en
soit de ces satisfactions d'amour-propre, la déduction
la plus vraie qu'on puisse tirer de cette absence d'ex-
pression nette pour affirmer l'individualité dans le lan:"
gage, c'est qu'à tout prendre, sous le gouvernement
mélangé de despotisme et de féodalité qui le régit, le
peuple japonais n'est point en possession d'une vérita-
ble liberté personnelle ; il est, comme ses pronoms, plu-
tôt une formule d'honneur ou de dignité qu'un citoyen
ou qu'un homme. Le moi n'est pas plus dans les mœurs
que dans les mots.
Cette observation nous conduit tout droit à examiner
le régime qui domine en 1861 au Japon ; il offre la plus
intéressante ressemblance avec l'état féodal qui florissaii
en Europe au temps des Plantagenets et des Tudors; et,
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