Presse et revues
16 pages
Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1861-06-01
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4673 Nombre total de vues : 4673
Description : 01 juin 1861 01 juin 1861
Description : 1861/06/01 (A6,N119). 1861/06/01 (A6,N119).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6203272s
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 14/06/2012
186 L'ISTHME DE SUEZ,
qui a jeté un pont sur le Chatmoss et a formé une pente
douce le long des montagnes du Sommering. Il est
très-vrai que l'habileté des ingénieurs français et une
compagnie d'actionnaires peuvent triompher des diffi-
cultés devant lesquelles a reculé un Pharaon Nécos.
Il y a là des calculs à débattre entre M. Lesseps et les
capitalistes confiants dont il a entraîné la fortune dans
son entreprise. Toutefois, lorsque nous trouvons que le
vice-roi d'Egypte est un de ces capitalistes et que sa
souscription s'élève à la moitié des actions de la Com-
pagnie et à plus des deux tiers de son revenu; lors-
- qu'en outre nous apprenons que non-seulement le cà-
nal lui-même, mais aussi « un territoire s'étendant un
mille ou un mille et demi de chaque côté » doivent être
abandonnés à une compagnie nominalement privée,
avançant des prétentions, exerçant des pouvoirs incom-
patibles avec la modestie de son titre ostensible, nous
pouvons bien scruter ses actes avec quelque anxiété.
Notre surprise ne sera pas diminuée par la découverte
que, quoique le consentement du sultan soit nécessaire
à la légalité de l'entreprise, ce consentement a été jus-
qu'à présent suspendu. Pourtant les travaux sont ac-
tuellement poursuivis sous le nom « d'arrangements
préliminaires, » tandis que les négociations sont pen-
dantes entre la Porte et le pacha, tandis que le port se
comble et que les excavations sont encombrées par l'en-
vahissement des sables. Tout cela parait comme si
M. Lesseps ou ses directeurs cachés avaient d'autres
vues que des vues commerciales; et s'il en était ainsi,
nous ne pousserions pas trop loin la curiosité en dési-
rant être mis dans le secret.
» La neutralité de l'Egypte est un objet d'importance
européenne. Depuis un temps immémorial ce merveil-
leux pays a joué dans les luttes pour la domination du
monde, un rôle tout à fait disproportionné avec sa po-
pulation ou sa valeur intrinsèque. C'est là que les Grecs
et les Perses se disputèrent la grande route de l'Orient.
C'est là que le premier Napoléon visa un coup mortel
à ce que les Français croient être la source de la gran-
deur anglaise, et qu'il conçut l'idée de construire ce
même canal pour nous inquiéter. Que l'Egypte soit in-
dépendante de toute influence étrangère et n'obéisse
aux ordres d'aucun Etat occidental, c'est ce qui intéresse
le repos du monde, et ce but ne peut être mieux as-
suré qu'en la maintenant dans la dépendance de. la
Turquie. Tels furent les motifs de l'arrangement conclu
en 1841, par lequel le pachalick fut rendu héréditaire
dans la famille de Mehemet-Ali, et les relations de
-l'Egypte avec la Porte définies et réglées. Ces objets
sont sérieusement compromis parla cession non autorisée
à la France d'un district considérable de l'Egypte, avec
la clef de la mer Rouge et l'établissement sur ce point
« d'un corps compacte d'étrangers avec des priviléges
spéciaux, e Pour emprunter l'exemple que lord Ellèn-
borough a employé en rappelant le trouble que nous
avait occasionné le Bosphore, « le projet dont il s'agit
est une tentative de créer un autre Bosphore et de le
placer dans les mains des Français. » Ce que le
Bosphore est à la mer Noire, l'isthme de Suez l'est à
l'océan Indien, et le canal proposé de Péluse à Suez,
coupant le lac Menzaleh et le lac Timsah, deviendrait
immédiatement une des plus importantes lignes straté-
giques du monde. Admettant que la spéculation de
M. Lësseps soit moins chimérique que nous ne le pen-
sons, il sera nécessaire d'avoir pour la garde impartiale
d'une position aussi critique une meilleure garantie que
l'article de l'acte de concession prescrivant qu'elle devra
être toujours ouverte aux navires marchands de toutes
les nations, moyennant certains péages.
» Il est satisfaisant -d'apprendre par la réponse de
lord Wodehouse à lord Carnarvon dans un débat récent,
que le gouvernement est pleinement pénétré de ces
considérations, tout en préférant sagement abandonner
quant à présent le projet à l'action spontanée du temps
et des éléments. Quel que soit le résultat ultérieur,
M. de Lesseps, quoiqu'il semble maintenant s'être mis sé-
rieusement à l'ouvrage, ne peut pas, en recevant une
sorte de bail pour le terme ordinaire de 99 ans, espérer
avoir un titre suffisant dans l'engagement qui a été
contracté avec lui en janvier 1856. Il doit construire
deux canaux, un canal maritime et un canal d'irrigation
avec deux branches collatérales ; le tout, si nous avons
bonne mémoire, doit être achevé en six ans et par des
ouvriers dont les 4/5es doivent être des indigènes égyp-
tiens. Nous aimerions à savoir jusqu'à quel point ce pro-
gramme sera promptement réalisé, et de plus comment il
sera possible de remplir la dernière condition sans avoir
recours à ce système de travail compulsatoire qui n'est
pas sans précédent sur la terre d'Egypte, mais serait
également opposé aux sentiments de la Porte et à ceux
des autres puissances principalement intéressées. Il eU
une chose dont nous sommes sûrs : c'est que tandis que
que le profit, s'il en existe, reviendra à d'autres qu'aux
actionnaires ou que même au pacha qui doit recçvoir
15 0/0 des revenus, les pertes retomberont exclusivement
sur les infortunés souscripteurs. On controverse encore
aujourd'hui la question de savoir si Guillaume III ap-
prouva ou désapprouva le fameux projet de percement
de l'isthme de Darien. Nous savons néanmoins que lors-
que l'impolitique de tout ce projet fut patente; que lors-
que l'hostilité de l'Espagne, de la France et de la Hol-
lande fut déclarée ou appréhendée ; lorsque les chefs
indigènes cessèrent d'être bienveillants et que les éta-
blissements voisins traitèrent les nouveaux colons
comme des boucaniers ; lorsque enfin une terrible mor-
talité éclata parmi eux, aucun secours ne leur fut en-
voyé d'Angleterre, et ces aventuriers furent livrés à leur
destinée. Quelles peuvent être les intentions du gouver-
nement de l'Empereur dans le cas où son soi-disant
agent réussira, nous ne pouvons prétendre à le dire;
mais en cas d'insuccès, rien de ce que nous connaissons
de là politique française ne nous amène à croire qu'il
aura un meilleur sort que William Paterson et ses com-
pagnons déçus. »
qui a jeté un pont sur le Chatmoss et a formé une pente
douce le long des montagnes du Sommering. Il est
très-vrai que l'habileté des ingénieurs français et une
compagnie d'actionnaires peuvent triompher des diffi-
cultés devant lesquelles a reculé un Pharaon Nécos.
Il y a là des calculs à débattre entre M. Lesseps et les
capitalistes confiants dont il a entraîné la fortune dans
son entreprise. Toutefois, lorsque nous trouvons que le
vice-roi d'Egypte est un de ces capitalistes et que sa
souscription s'élève à la moitié des actions de la Com-
pagnie et à plus des deux tiers de son revenu; lors-
- qu'en outre nous apprenons que non-seulement le cà-
nal lui-même, mais aussi « un territoire s'étendant un
mille ou un mille et demi de chaque côté » doivent être
abandonnés à une compagnie nominalement privée,
avançant des prétentions, exerçant des pouvoirs incom-
patibles avec la modestie de son titre ostensible, nous
pouvons bien scruter ses actes avec quelque anxiété.
Notre surprise ne sera pas diminuée par la découverte
que, quoique le consentement du sultan soit nécessaire
à la légalité de l'entreprise, ce consentement a été jus-
qu'à présent suspendu. Pourtant les travaux sont ac-
tuellement poursuivis sous le nom « d'arrangements
préliminaires, » tandis que les négociations sont pen-
dantes entre la Porte et le pacha, tandis que le port se
comble et que les excavations sont encombrées par l'en-
vahissement des sables. Tout cela parait comme si
M. Lesseps ou ses directeurs cachés avaient d'autres
vues que des vues commerciales; et s'il en était ainsi,
nous ne pousserions pas trop loin la curiosité en dési-
rant être mis dans le secret.
» La neutralité de l'Egypte est un objet d'importance
européenne. Depuis un temps immémorial ce merveil-
leux pays a joué dans les luttes pour la domination du
monde, un rôle tout à fait disproportionné avec sa po-
pulation ou sa valeur intrinsèque. C'est là que les Grecs
et les Perses se disputèrent la grande route de l'Orient.
C'est là que le premier Napoléon visa un coup mortel
à ce que les Français croient être la source de la gran-
deur anglaise, et qu'il conçut l'idée de construire ce
même canal pour nous inquiéter. Que l'Egypte soit in-
dépendante de toute influence étrangère et n'obéisse
aux ordres d'aucun Etat occidental, c'est ce qui intéresse
le repos du monde, et ce but ne peut être mieux as-
suré qu'en la maintenant dans la dépendance de. la
Turquie. Tels furent les motifs de l'arrangement conclu
en 1841, par lequel le pachalick fut rendu héréditaire
dans la famille de Mehemet-Ali, et les relations de
-l'Egypte avec la Porte définies et réglées. Ces objets
sont sérieusement compromis parla cession non autorisée
à la France d'un district considérable de l'Egypte, avec
la clef de la mer Rouge et l'établissement sur ce point
« d'un corps compacte d'étrangers avec des priviléges
spéciaux, e Pour emprunter l'exemple que lord Ellèn-
borough a employé en rappelant le trouble que nous
avait occasionné le Bosphore, « le projet dont il s'agit
est une tentative de créer un autre Bosphore et de le
placer dans les mains des Français. » Ce que le
Bosphore est à la mer Noire, l'isthme de Suez l'est à
l'océan Indien, et le canal proposé de Péluse à Suez,
coupant le lac Menzaleh et le lac Timsah, deviendrait
immédiatement une des plus importantes lignes straté-
giques du monde. Admettant que la spéculation de
M. Lësseps soit moins chimérique que nous ne le pen-
sons, il sera nécessaire d'avoir pour la garde impartiale
d'une position aussi critique une meilleure garantie que
l'article de l'acte de concession prescrivant qu'elle devra
être toujours ouverte aux navires marchands de toutes
les nations, moyennant certains péages.
» Il est satisfaisant -d'apprendre par la réponse de
lord Wodehouse à lord Carnarvon dans un débat récent,
que le gouvernement est pleinement pénétré de ces
considérations, tout en préférant sagement abandonner
quant à présent le projet à l'action spontanée du temps
et des éléments. Quel que soit le résultat ultérieur,
M. de Lesseps, quoiqu'il semble maintenant s'être mis sé-
rieusement à l'ouvrage, ne peut pas, en recevant une
sorte de bail pour le terme ordinaire de 99 ans, espérer
avoir un titre suffisant dans l'engagement qui a été
contracté avec lui en janvier 1856. Il doit construire
deux canaux, un canal maritime et un canal d'irrigation
avec deux branches collatérales ; le tout, si nous avons
bonne mémoire, doit être achevé en six ans et par des
ouvriers dont les 4/5es doivent être des indigènes égyp-
tiens. Nous aimerions à savoir jusqu'à quel point ce pro-
gramme sera promptement réalisé, et de plus comment il
sera possible de remplir la dernière condition sans avoir
recours à ce système de travail compulsatoire qui n'est
pas sans précédent sur la terre d'Egypte, mais serait
également opposé aux sentiments de la Porte et à ceux
des autres puissances principalement intéressées. Il eU
une chose dont nous sommes sûrs : c'est que tandis que
que le profit, s'il en existe, reviendra à d'autres qu'aux
actionnaires ou que même au pacha qui doit recçvoir
15 0/0 des revenus, les pertes retomberont exclusivement
sur les infortunés souscripteurs. On controverse encore
aujourd'hui la question de savoir si Guillaume III ap-
prouva ou désapprouva le fameux projet de percement
de l'isthme de Darien. Nous savons néanmoins que lors-
que l'impolitique de tout ce projet fut patente; que lors-
que l'hostilité de l'Espagne, de la France et de la Hol-
lande fut déclarée ou appréhendée ; lorsque les chefs
indigènes cessèrent d'être bienveillants et que les éta-
blissements voisins traitèrent les nouveaux colons
comme des boucaniers ; lorsque enfin une terrible mor-
talité éclata parmi eux, aucun secours ne leur fut en-
voyé d'Angleterre, et ces aventuriers furent livrés à leur
destinée. Quelles peuvent être les intentions du gouver-
nement de l'Empereur dans le cas où son soi-disant
agent réussira, nous ne pouvons prétendre à le dire;
mais en cas d'insuccès, rien de ce que nous connaissons
de là politique française ne nous amène à croire qu'il
aura un meilleur sort que William Paterson et ses com-
pagnons déçus. »
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