S’il n’y avait qu’un nom propre associé à l’histoire des phares de France, ce serait sans doute celui d’Augustin Fresnel, savant et ingénieur des Ponts et Chaussées mort en 1827 à l’âge de 39 ans. Ses appareils lenticulaires ont, au début du XIXe siècle, révolutionné les techniques employées jusqu’alors pour l’éclairage des phares. Entré à Polytechnique à l’âge de 16 ans, Fresnel entame une modeste carrière d’ingénieur des Ponts, rectifiant des routes dans de lointains départements alors que son génie scientifique précoce doit le conduire à Paris. Il présente des mémoires à l’Académie pour défendre sa théorie ondulatoire de la lumière, qui permet d’expliquer et de prévoir les phénomènes de diffraction et d’interférences. Cette théorie n’a aucune application pour les phares, qui relèvent d’une optique géométrique beaucoup plus classique. Son protecteur, François Arago, lui trouve un emploi auprès de la Commission des phares en 1819, dont il devient le secrétaire en 1824. C’est à ce poste qu’il se livre, aux alentours de Paris, à des expériences décisives pour l’adoption des appareils lenticulaires. Il installe un prototype à Cordouan, remplaçant les réflecteurs paraboliques mis en place par Borda. Il y ruine sa santé délicate et meurt à Paris en disant : « Que de choses j’aurais encore à faire !". Son éloge funèbre devant l’Académie des Sciences est prononcé par Arago. « Augustin Fresnel a été l’inventeur des phares lenticulaires, aux mêmes titres que Gutenberg, de l’imprimerie, Galilée, des télescopes, et Watt, des machines à vapeur », écrit Léonor Fresnel dans l’introduction aux Œuvres Complètes, véritable monument élevé à la gloire de son frère. Voilà pour l’histoire sainte. Dire que Fresnel est « l’inventeur » des phares modernes est un raccourci que l’histoire des sciences contemporaines ne peut pas accepter, pour plusieurs raisons. Sa gloire posthume diminue les mérites de savants anglais tels que Thomas Young (1773-1829), avec qui il entretenait une correspondance confiante, et David Brewster (1781-1868), qui conteste la paternité de la fameuse lentille appliquée aux phares... La lecture de ses lettres montre que Fresnel est le premier à minimiser le « génie » de son invention, l’usage de la lentille, y compris pour la signalisation, étant connu depuis le XVIIIe siècle. En revanche, sa ténacité à faire réaliser par un fabricant d’instruments scientifiques, Soleil, un appareil de grande taille, réglant de manière pratique par la taille d’échelon les problèmes connus (poids, aberration de sphéricité) fait de lui un grand innovateur. Le Service des phares a récupéré sa part de la gloire de Fresnel. En 1855, l’État commandait au peintre Gérôme une grande frise, sur laquelle les allégories féminines des puissances maritimes, « rangées dans l’ordre des dates de l’emploi des appareils lenticulaires », font symboliquement allégeance au buste d’Augustin Fresnel.