En parallèle de l'exposition "Entreponts, nouvelle galerie des modèles", présentée dans le bâtiment Carnot (ENPC - ENSG, Champs-sur-Marne, Seine-et-Marne) du 10 avril au 19 mai 2025, nous vous proposons un "Grand format" sur le même sujet, reprenant les textes et illustrations des panneaux de l'exposition, complétés de photographies des maquettes.
Le projet Entreponts a pour ambition de réinventer le concept de galerie des modèles, à partir des maquettes conservées aujourd’hui dans les collections patrimoniales de l’École, avec comme ambition de s’étendre progressivement à celles conservées dans des services ministériels ainsi que dans des musées.
La galerie des modèles permettait la valorisation d'un patrimoine artistique, et servait de support à l’enseignement. Le projet adopte donc la démarche de la recherche-création : il associe chercheurs et artistes avec l’ambition de produire des connaissances d’une part, et des œuvres d’autre part.
Le travail de recherche porte sur la numérisation 3D des objets et la préservation numérique du patrimoine, sur l’étude historique de ces maquettes et de l’évolution de leurs usages au cours du temps, et sur l’analyse du contexte géographique des maquettes. Le travail de création artistique prend la forme de fictions littéraires ou soniques, de vidéos, ainsi que de création plastiques et photographiques reprenant les codes du dossier d’œuvre. Le dialogue entre chercheurs et artistes permet également de renouveler la façon de produire des connaissances sur ces objets patrimoniaux et de les présenter.
Les maquettes présentées à l'occasion de l'exposition "Entreponts, une nouvelle galerie des modèles" ont été retrouvées au terme d’une quête de longue haleine. La plupart proviennent des collections qui avaient été déposées auprès du Musée des travaux publics, fermé en 1954. Très abîmées pour certaines, elles ont toutes été restaurées et nettoyées, avec le soutien de la Fondation des Ponts. D’autres rejoindront l’École dans les mois suivant l'exposition.
Contributions
Équipe du programme de recherche
Olivier Bonin, LVMT (Laboratoire Ville, Environnement, Transport)
Emmanuel Clédat, LaSTIG (Laboratoire en sciences et techniques de l'information géographique)
Anne Lacourt, ENPC (École nationale des ponts et chaussées)
Nathalie Montel, LATTS (Laboratoire Techniques, territoires et sociétés)
Guillaume Saquet, ENPC
Artistes
Benjamin Bondonneau
Florence Cardenti
Raphaël Saint-Remy
et la participation de Beñat Achiary, Fadhel Messaoudi,
Wilfried Deurre et Géraldine Keller
Une exposition proposée par :
Olivier Bonin, Emmanuel Clédat, Anne Lacourt,
Stéphanie Rivoire et Guillaume Saquet
Avec la contribution d’Alain Corfdir (laboratoire Navier)
et Adèle Mazurek (ENPC)
Qu’est-ce qu’un modèle ?
L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert le définit ainsi :
« (…) Patron artificiel qu’on fait de bois, de pierre, de plâtre (…) avec toutes ses proportions, afin de conduire plus sûrement l’exécution d’un grand ouvrage, et de donner une idée de l’effet qu’il fera en grand. Dans tous les grands édifices, le plus sûr est d’en faire des modèles en relief et de ne pas se contenter d’un simple dessein. »
Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, XVIIIe siècle
En 1787, Luc Vincent Thiery, dans son Guide des amateurs et des étrangers voyageurs à Paris, s’attarde sur la description de la galerie de M. Perronet, directeur de l’École, établissant une liste détaillée des modèles qui s’y trouvent, reflets de ses œuvres : les ponts de Neuilly, Pont-Sainte-Maxence, Melun, Brunoy, la Salpêtrière et Louis XVI(aujourd’hui pont de la Concorde) y figurent en bonne place, mais aussi d’autres réalisations françaises ou étrangères : ponts en charpente comme Shaffhouse ou Wettingen sur le Rhin, arche du pont de Westminster, pile du pont de Saumur, cône employé pour la construction du port de Cherbourg, canal de Bourgogne, projets non aboutis enfin, comme l’aqueduc de Tourvoie.
Ce foisonnant descriptif renvoie au dessin réalisé par Louis Jean Desprez dans ces mêmes années, dont l’intitulé tardif de Vue imaginaire ou allégorique de l’École paraît de moins en moins mériter cette épithète, tant il reflète ce réel amoncellement d’objets.
De l’appartement de Perronet à un projet de musée des travaux publics
Les plans successifs des bâtiments occupés par l’École témoignent de l’importance de la galerie. D’abord situées dans une grande pièce de l’appartement de fonction de Perronet, les maquettes sont installées après sa mort et son legs aux élèves en 1794, dans des pièces de belle proportion, qui permettent de les utiliser pour l’instruction des élèves et de les proposer à l’admiration des visiteurs. Dès lors, la collection ne cesse de s’accroître, avec les dons d’ingénieurs tels que Sganzin, Cessart ou Betancourt.

Au cours du XIXe siècle s’ajoutent de nouveaux modèles, témoins de la rapide évolution des techniques liée à la Révolution industrielle. Nombreux sont conçus pour être montrés lors des expositions universelles. Beaucoup plus grands, ils nécessitent de la place. Le ministère qui les commande, les confie ensuite à l’École.
Celle-ci s’installe à partir de 1845 dans l’hôtel de Fleury, rue des Saints-Pères, qui, bien que plus vaste que les bâtiments précédents, montre assez vite les limites de ce qu’il peut accueillir.
Malgré l’acquisition d’un terrain destiné à agrandir les locaux en 1858, les budgets tardent à arriver. Après les expositions universelles de 1862 et surtout 1867, les collections débordent tant qu’un hangar provisoire est construit et que l’École doit louer quelques boutiques de l’hôpital de la Charité voisin pour y loger les modèles. On en trouve jusque sous les combles où plusieurs d’entre eux s’abîment. Les membres du Conseil de l’École espèrent un budget qui ne viendra pas avant la fin de l’Empire. L’objectif est de créer un Musée des travaux publics, « unique dans le monde », destiné aux élèves, aux entrepreneurs français et étrangers et au public même.
La Galerie des modèles
« Les diverses collections que renferment les galeries de l’École (…) ont dû (…) prendre naissance peu de temps après l’École elle-même. (…) Les besoins de l’enseignement ne tardèrent pas à démontrer la nécessité de collections de diverses natures (…), [alors que] les ressources de la nouvelle école étaient des plus bornées. (…) [Est] réuni[e] dans les galeries (…) une collection dont l’ensemble est précieux au double point de vue de l’art et de l’instruction des élèves ; c’est aussi le point de départ des études et des travaux des générations nouvelles. »
Honoré Baron, chargé de la conservation des galeries (1873)
Le prestige des expositions universelles fait venir à Paris un nombre conséquent de visiteurs français et étrangers ; l’École profite aussi de la notoriété des collections qu’elle récupère (expositions universelles, ministère) et voit passer de nombreux amateurs jusqu’à la guerre de 1914.
La guerre a provoqué un bouleversement général ; l’École en sort grandie par le sacrifice de ses élèves et de son personnel mais profondément secouée dans son organisation. Une réforme en profondeur s’impose dont les grandes galeries du XIXe sortent affaiblies. On n’enseigne plus en montrant des objets ; au contraire, les stages sur le terrain sont désormais privilégiés ; la grandeur de la France ne passe plus par l’étalement de collections d’objets techniques ou de modèles réduits mais par les résultats concrets des découvertes ou des travaux scientifiques. C’est la reconstruction, la première ; celle qui suivra la seconde guerre mondiale sonnera le glas du fonctionnement ancien.
Dans les décennies 1930-1940, des maquettes continuent d’être envoyées à l’École mais elles sont entassées dans le désordre. Les derniers ingénieurs ayant connu l’époque de la galerie parlaient d’un lieu mystérieux et poussiéreux où ils n’allaient guère, et surtout pas pour l’enseignement.
Au début des années 1950, de grands travaux sont entrepris dans l’École. La direction décide de démolir la galerie. La raison officielle avance qu’elle est en mauvais état et que le coût est moindre de la démolir pour la reconstruire. En fait il s’agit de la remplacer par une bibliothèque de plusieurs étages digne d’une école moderne. Si ce projet n’aboutit finalement pas, la galerie est tout de même démolie. Les maquettes sont dispersées à la va-vite, parfois dans des musées (Travaux publics, Carnavalet, Sceaux), au pire parfois auprès d’autres services de l’État ou d’entreprises. Celles qui sont alors jugées de peu d’intérêt sont démolies en même temps que les murs, tout comme les tableaux et la plupart des sculptures. Un spectacle de désolation remplace le prestigieux bâtiment d’antan.
Le pont « Canada » présenté ici succède à deux ouvrages mis en service en 1834, puis en 1886, pour franchir le Jaudy, fleuve côtier soumis aux marées à l’endroit du franchissement. L’ouvrage de 1886 comportait des piles fondées sur des pieux foncés dans le lit du fleuve. Dès sa mise en service, cet ouvrage connut des tassements. Ces désordres, sa petite largeur, ont conduit à demander son remplacement dès 1929.
Le projet d’un nouveau pont est demandé au Service Central d’Etudes Techniques (SCET) ; ce service, créé en 1918, sous la direction de Gaston Pigeaud, sous-directeur de l’École (1922-1934) était situé dans ses murs, 28 rue des Saints Pères.
La réalisation du projet est confiée à Pierre Dantu (1910-1985), ingénieur des Ponts et Chaussées, qui réalisait ainsi son premier projet de pont. Les sondages dans le lit du fleuve poursuivis jusqu’à 23 m en dessous du terrain naturel n’ont pas atteint de couche rocheuse ce qui, avec l’expérience du pont précédent contre-indiquait la construction de piles. Cependant la présence de deux éperons rocheux de part et d’autre du fleuve permettait de réduire la distance à franchir et d’offrir de bonnes conditions de fondation pour un arc. C’est donc la solution d’un pont en arc en béton avec tablier suspendu qui a été retenue, soit un franchissement de 153 mètres. Le choix d’une nouvelle implantation permettait la circulation sur l’ancien pont pendant les travaux.
L’importance touristique de la région, avec notamment la cathédrale de Tréguier, ont donné du poids aux considérations esthétiques. Ainsi les deux arcs ont été construit sans l’entretoisement qui aurait alourdi la silhouette (ils sont encastrés à leur base avec une entretoise sans impact visuel à l’endroit où les arcs sont au même niveau que le tablier). La section de l’arc diminue depuis sa naissance jusqu’à la clé, ce qui donne une impression d’élan. Pierre Dantu écrit :
« J’avais apporté une véritable passion à en faire (…) quelque chose de beau, par une étude très serrée des proportions, par une recherche inlassable d’allègement des formes de l’arc (…). »
Pierre Dantu, ingénieur des Ponts et Chaussées
On peut noter un autre détail esthétique : une mouluration a été prévue sur les quatre faces de l’arc, contribuant à diminuer visuellement la hauteur de l’arc et dissimulant les reprises longitudinales de bétonnage. Le projet est remis en 1941.
La Société des Constructions Edmond Coignet a été chargée des travaux, sous la responsabilité de Gilbert Lacombe et la surveillance du service des Côtes du Nord. De nombreuses questions de réalisation restaient à résoudre : construction de batardeaux, réalisation des échafaudages dont la partie soutenant l’arc a servi à la fois : pour l’arc aval et l’arc amont, comme le montre la maquette. Celle-ci montre également les vérins situés à la clé ayant permis le décintrement. Un changement significatif a été apporté par l’entreprise : le remplacement des suspentes en barres d’acier enrobées de béton par des fils d’acier du type utilisé en précontrainte avec une protection contre la corrosion d’épaisseur bien moindre contribuant encore à alléger la silhouette de l’ouvrage. L’ouvrage est mis en service en 1954.




Maquette du pont Canada sur le Jaudy à Tréguier (Côtes-d’Armor). 1953.
Plâtre et bois.
Déposée dans la Galerie des modèles de l’École en 1953.
Montel, Nathalie. « La maquette du pont de Brunoy, l’ingénieur et ses savoirs à la fin du 18e siècle : L’objet comme artefact savant, production sociale et matériau de l’histoire ». Dix-huitième siècle, 2024/1 n° 56, 2024. p.283-298.
Article disponible en ligne sur la plateforme cairn.info : https://doi.org/10.3917/dhs.056.0283
Maquette du pont de Brunoy sur l’Yerres (Essonne). XVIIIe siècle.
Legs de Jean Rodolphe Perronet en 1794.
Restaurée avec l’aide la Fondation en 2016.
Maquette d’une partie du projet d’aqueduc de Tourvoie pour apporter les eaux de l’Yvette et de la Bièvre à Paris (Val-de-Marne). XVIIIe siècle.
Legs de Jean Rodolphe Perronet en 1794.
Restaurée en 2017.
Maquette du pont de Schaffhouse sur le Rhin (Suisse). XVIIIe siècle.
Legs de Jean Rodolphe Perronet en 1794.
Restaurée en 2017.
Maquette du pont Valentré à Cahors (Lot). XXe siècle.
Restaurée en 2017.
Maquette du viaduc ferroviaire de Scarassoui sur la Roya. Ligne de Coni à Vintimille (Alpes-Maritimes). Années 1920.
Restaurée en 2017.