Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1860-09-01
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 01 septembre 1860 01 septembre 1860
Description : 1860/09/01 (A5,N101). 1860/09/01 (A5,N101).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k65299671
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 05/07/2013
JOURNAL DE L'UNION DES DEUX MERS. 285
même usage d'une pièce de campagne qu'elles avaient
emmenée avec elles, et on dit qu'un boulet a abattu la
cloche de la cathédrale.
» Les Druses, enivrés par le succès et le pillage, se
tournèrent de nouveau contre Der-el-Kammar. Les
malheureux habitants, en recevant la nouvelle de leur
approche, firent des préparatifs de résistance; mais le
gouverneur, qui avait 400 hommes dans le seraï et 300
autres à un demi-mille de là, à Bleddin, leur dit qu'ils
n'avaient rien à craindre s'ils voulaient lui livrer leurs
armes. Ils demandaient une escorte pour se rendre à
Beyrouth. Le gouverneur refusa, et les habitants ne
purent faire que ce qu'il leur ordonnait. Il leur fit ap-
porter au seraï leurs objets de quelque valeur, puis il
y fit venir la plus grande partie de la population. Ainsi
les hommes, les femmes et les enfants s'entassèrent
tous dans le seraï dans la nuit du 20.
» Le 21 juin au matin, les Druses se rassemblèrent
autour de la ville. Un de leurs chefs se présenta au
seraï, disant qu'il voulait parler au gouverneur. La
conversation se fit à voix basse, au moyen d'un inter-
prète, car le Turc ne comprenait pas l'arabe. A la fin,
une question fut faite, à laquelle les chrétiens entendi-
rent le gouverneur répondre « hapsi » (« ab » en turc).
Les Druses disparurent; mais quelques minutes après la
porte s'ouvrit, et les misérables entrèrent, massacrant
tous les mâles, avec l'aide des soldats. Bref, uue se-
conde tragédie, comme celle de Hasbeya, s'accomplit ;
mais le massacre fut encore plus terrible. Ceux qui n'é-
taient pas venus au seraï ne furent pas épargnés; tous
furent tués, et ceux qui avaient traversé la rivière et
s'étaient rendus à Bleddin furent tués par les soldats. Il
en est qui ont pu s'échapper en se cachant dans les
fossés, et quelques-uns des blessés sont restés en vie.
Cette scène m'a été décrite dans tous ses détails par un
grand nombre de femmes qui s'y trouvaient. Elles m'ont
dit comment elles avaient vu leurs maris, leurs pères.
leurs frères et leurs enfants mis en pièces ; qu'en vou-
lant sauver les enfants elles avaient été frappées ; que
les enfants leur avaient été arrachés, qu'ils avaient été
hachés, et que les morceaux leur avaient été jetés au
visage ; qu'elles avaient été insultées par les soldats
turcs, et que les Druses leur avaient pris tout ce qu'elles
possédaient. Il faut se rappeler qu'il y avait à Der-el-
Kammar des gens riches, vivant dans des habitations
confortables, qu'ils avaient de l'instruction et qu'ils
étaient habitués à l'aisance ; maintenant ils sont réduits
à la mendicité.
» Le nombre des tués dans cet horrible massacre est
diversement évalué; le chiffre varie de P00 à 1,800. J'ai
lieu de croire, après avoir comparé soigneusement tous
les récits, que 1,100 à 1,200 mâles ont péri dans ce seul
jour. Les Druses mirent ensuite le feu à la ville. La fu-
mée arriva jusqu'à Beyrouth comme une colonne de
nuages et nous avertit de la calamité. Je puis moi-même
attester que les récits ne sont pas très-exagérés; j'ai
parcouru tout le pays avant que la guerre ne fût finie,
et je suis arrivé à Der-el-Kammar quelques jours après
le massacre. Presque toutes les maisons étaient brûlées,
les rues étaient encombrées de cadavres, la plupart dé-
pouillés et mutilés. J'avais à traverser la ville, et dans
quelques rues mon cheval ne pouvait passer, les cada-
vres étant littéralement entassés. Presque tous ceux
que j'ai examinés avaient reçu plusieurs blessures, et la
plupart avaient perdu la main droite ; ces malheureux
avaient, probablement instinctivement, levé le bras
pour parer le coup qui leur était porté. J'ai vu de petits
enfants de trois ou quatre ans étendus à terre et à côté
de vieillards.
» Quelques-uns avaient l'expression de l'agonie, d'au-
tres le désespoir peint sur leurs visages. Un malheu-
reux avait été frappé à genoux, alors qu'il faisait appel
à la pitié de ses bourreaux.
» J'ai vu des cadavres décapités et des têtes qui jon-
chaient le sol, sans sépulture, et la proie future des
hyènes et des bêtes fauves. Au milieu de cette scène
de désolation, des Druses, qui étaient venus pour em-
porter les quelques morceaux de bois qu'ils pouvaient
encore trouver dans les maisons, riaient et plaisantaient
à la vue des malheureuses victimes.
» J'exprimai mon horreur au chef druse et lui de-
mandai de faire enterrer les morts. Il rit et me deman-
da pourquoi. J'ai quelque espoir cependant que cela a
été fait. Il m'a promis de donner des ordres à cet effet,
« quoiqu'il fùt difficile, a-t-il ajouté, d'amener les Dru-
» ses à enterrer les cadavres des chrétiens. »
» Quand ces nouvelles arrivèrent à Beyrouth, l'hor-
reur et l'indignation qu'elles soulevèrent ne sauraient
se décrire. Quelque habitués que nous fussions à de pa-
reilles horreurs, celles ci dépassaient tout ce qu'on pou-
vait imaginer et révé'aient de tels actes de trahison à
la charge du pacha qu'aucun homme d'Etat européen
ne voudra sans doute croire qu'ils ont pu être commis
par un fonctionnaire supérieur, par le gouverneur d'une
grande province.
» Le pacha est arrivé à Der-el-Kammar le lendemain
du massacre, « ce qu'il déplorera pendant tout le reste
» de sa vie. n C'est du moins ce qu'il dit; ainsi il faut
le croire. Ces détails nous étaient à peine parvenus,
lorsque le 26 juin le brick français Sentinelle nous ap-
porta des nouvelles alarmantes de Sidon. Les Druses
menaçaient encore la place, et le mufti avait prêché
dans la mosquée et même dans la rue « la mort aux
» chrétiens! » Il avait signalé aux fidèles le triomphe de
la bonne cause; il avait proclamé que le moment était
venu et que Dieu leur avait livré les infidèles. La nuit
précédente, le 25 juin, des Druses armés avaient
couché dans la ville, et des musulmans portant des ar-
mes avaient passé la nuit dans la mosquée, prêts, aus-
sitôt que les Druses auraient commencé le carnage, à
leur venir en aide. La nuit suivante on pensait que le
massacre aurait lieu. Deux bâtiments anglais et deux
bâtiments français partirent immédiatement et jetèrent
l'ancre à Sidon avant le coucher du soleil, ce qui inti-
mida les fanatiques et empêcha probablement une ca-
tastrophe.
» On découvrit que dans cette ville aussi il y avait
un guet-apens, car le gouverneur de Sidon avait désar-
mé tous les chrétiens, sous prétexte que, par suite de
même usage d'une pièce de campagne qu'elles avaient
emmenée avec elles, et on dit qu'un boulet a abattu la
cloche de la cathédrale.
» Les Druses, enivrés par le succès et le pillage, se
tournèrent de nouveau contre Der-el-Kammar. Les
malheureux habitants, en recevant la nouvelle de leur
approche, firent des préparatifs de résistance; mais le
gouverneur, qui avait 400 hommes dans le seraï et 300
autres à un demi-mille de là, à Bleddin, leur dit qu'ils
n'avaient rien à craindre s'ils voulaient lui livrer leurs
armes. Ils demandaient une escorte pour se rendre à
Beyrouth. Le gouverneur refusa, et les habitants ne
purent faire que ce qu'il leur ordonnait. Il leur fit ap-
porter au seraï leurs objets de quelque valeur, puis il
y fit venir la plus grande partie de la population. Ainsi
les hommes, les femmes et les enfants s'entassèrent
tous dans le seraï dans la nuit du 20.
» Le 21 juin au matin, les Druses se rassemblèrent
autour de la ville. Un de leurs chefs se présenta au
seraï, disant qu'il voulait parler au gouverneur. La
conversation se fit à voix basse, au moyen d'un inter-
prète, car le Turc ne comprenait pas l'arabe. A la fin,
une question fut faite, à laquelle les chrétiens entendi-
rent le gouverneur répondre « hapsi » (« ab » en turc).
Les Druses disparurent; mais quelques minutes après la
porte s'ouvrit, et les misérables entrèrent, massacrant
tous les mâles, avec l'aide des soldats. Bref, uue se-
conde tragédie, comme celle de Hasbeya, s'accomplit ;
mais le massacre fut encore plus terrible. Ceux qui n'é-
taient pas venus au seraï ne furent pas épargnés; tous
furent tués, et ceux qui avaient traversé la rivière et
s'étaient rendus à Bleddin furent tués par les soldats. Il
en est qui ont pu s'échapper en se cachant dans les
fossés, et quelques-uns des blessés sont restés en vie.
Cette scène m'a été décrite dans tous ses détails par un
grand nombre de femmes qui s'y trouvaient. Elles m'ont
dit comment elles avaient vu leurs maris, leurs pères.
leurs frères et leurs enfants mis en pièces ; qu'en vou-
lant sauver les enfants elles avaient été frappées ; que
les enfants leur avaient été arrachés, qu'ils avaient été
hachés, et que les morceaux leur avaient été jetés au
visage ; qu'elles avaient été insultées par les soldats
turcs, et que les Druses leur avaient pris tout ce qu'elles
possédaient. Il faut se rappeler qu'il y avait à Der-el-
Kammar des gens riches, vivant dans des habitations
confortables, qu'ils avaient de l'instruction et qu'ils
étaient habitués à l'aisance ; maintenant ils sont réduits
à la mendicité.
» Le nombre des tués dans cet horrible massacre est
diversement évalué; le chiffre varie de P00 à 1,800. J'ai
lieu de croire, après avoir comparé soigneusement tous
les récits, que 1,100 à 1,200 mâles ont péri dans ce seul
jour. Les Druses mirent ensuite le feu à la ville. La fu-
mée arriva jusqu'à Beyrouth comme une colonne de
nuages et nous avertit de la calamité. Je puis moi-même
attester que les récits ne sont pas très-exagérés; j'ai
parcouru tout le pays avant que la guerre ne fût finie,
et je suis arrivé à Der-el-Kammar quelques jours après
le massacre. Presque toutes les maisons étaient brûlées,
les rues étaient encombrées de cadavres, la plupart dé-
pouillés et mutilés. J'avais à traverser la ville, et dans
quelques rues mon cheval ne pouvait passer, les cada-
vres étant littéralement entassés. Presque tous ceux
que j'ai examinés avaient reçu plusieurs blessures, et la
plupart avaient perdu la main droite ; ces malheureux
avaient, probablement instinctivement, levé le bras
pour parer le coup qui leur était porté. J'ai vu de petits
enfants de trois ou quatre ans étendus à terre et à côté
de vieillards.
» Quelques-uns avaient l'expression de l'agonie, d'au-
tres le désespoir peint sur leurs visages. Un malheu-
reux avait été frappé à genoux, alors qu'il faisait appel
à la pitié de ses bourreaux.
» J'ai vu des cadavres décapités et des têtes qui jon-
chaient le sol, sans sépulture, et la proie future des
hyènes et des bêtes fauves. Au milieu de cette scène
de désolation, des Druses, qui étaient venus pour em-
porter les quelques morceaux de bois qu'ils pouvaient
encore trouver dans les maisons, riaient et plaisantaient
à la vue des malheureuses victimes.
» J'exprimai mon horreur au chef druse et lui de-
mandai de faire enterrer les morts. Il rit et me deman-
da pourquoi. J'ai quelque espoir cependant que cela a
été fait. Il m'a promis de donner des ordres à cet effet,
« quoiqu'il fùt difficile, a-t-il ajouté, d'amener les Dru-
» ses à enterrer les cadavres des chrétiens. »
» Quand ces nouvelles arrivèrent à Beyrouth, l'hor-
reur et l'indignation qu'elles soulevèrent ne sauraient
se décrire. Quelque habitués que nous fussions à de pa-
reilles horreurs, celles ci dépassaient tout ce qu'on pou-
vait imaginer et révé'aient de tels actes de trahison à
la charge du pacha qu'aucun homme d'Etat européen
ne voudra sans doute croire qu'ils ont pu être commis
par un fonctionnaire supérieur, par le gouverneur d'une
grande province.
» Le pacha est arrivé à Der-el-Kammar le lendemain
du massacre, « ce qu'il déplorera pendant tout le reste
» de sa vie. n C'est du moins ce qu'il dit; ainsi il faut
le croire. Ces détails nous étaient à peine parvenus,
lorsque le 26 juin le brick français Sentinelle nous ap-
porta des nouvelles alarmantes de Sidon. Les Druses
menaçaient encore la place, et le mufti avait prêché
dans la mosquée et même dans la rue « la mort aux
» chrétiens! » Il avait signalé aux fidèles le triomphe de
la bonne cause; il avait proclamé que le moment était
venu et que Dieu leur avait livré les infidèles. La nuit
précédente, le 25 juin, des Druses armés avaient
couché dans la ville, et des musulmans portant des ar-
mes avaient passé la nuit dans la mosquée, prêts, aus-
sitôt que les Druses auraient commencé le carnage, à
leur venir en aide. La nuit suivante on pensait que le
massacre aurait lieu. Deux bâtiments anglais et deux
bâtiments français partirent immédiatement et jetèrent
l'ancre à Sidon avant le coucher du soleil, ce qui inti-
mida les fanatiques et empêcha probablement une ca-
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» On découvrit que dans cette ville aussi il y avait
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