Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1859-01-15
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4673 Nombre total de vues : 4673
Description : 15 janvier 1859 15 janvier 1859
Description : 1859/01/15 (A4,N62). 1859/01/15 (A4,N62).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6529497f
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 05/07/2013
SAMEDI 15 JANVIER. JOURNAL DE L'UNION DES DEUX MERS. 25
où les villes ont une étendue et une condensation dont on n'a
pas d'exemple en Europe. Au-dessous de castes privilégiées,
gorgées de richesses, par suite très-peu nombreuses, pullule une
nation famélique, plongée dans un dénûment absolu, qui ne
reçoit jamais d'assistance, si ce n'est de nos missionnaires.
De tels pays ne sauraient de longtemps se poser en pays d'ex-
portation de grains. L'Egypte exporte; mais, grâce aux inon-
dations du Nil, elle a fréquemment deux récoltes par an, et
la fertilité de son sol est unique. La Russie exporte, mais
grâce à une étendue excessive de terrain, hors de proportion
avec la population, qui permet au paysan russe de laisser
chômer ses terres de longues années; mais que la population
vienne à croître en Russie, à atteindre seulement la propor-
tion de nos départements les plus misérables, les moins peu-
plés, et les plaines de la mer Noire suffiront à peine à la
consommation intérieure.
La crainte de voir le canal de Suez mettre à nos portes
une concurrence nouvelle produisant plus que nous, à meilleur
marché que nous, malgré les frais et les avaries de transport,
ne saurait donc nous inquiéter un instant. Passons à l'examen
de l'influence heureuse que ces voies plus directes de commu-
nication avec des continents nouveaux pourraient avoir pour
notre culture. Il suffirait pour cela qu'elles pussent, soit nous
procurer des substances fertilisantes à bon marché et en abon-
dance, soit nous ouvrir des débouchés nouveaux pour nos pro
duits.
Il est un fait incontestable, c'est que les terres naturelle-
ment fertiles, ou fortement fumées, sont les seules qui payent
la rente et le travail; les autres terres, je viens, je crois, de
nommer les deux tiers de la France, payent souvent le fer-
mage, mais le travail rarement. En un mot, tous les cultiva-
teurs qui, n'étant pas valets de ferme, exploitent par eux-
mêmes, ne retrouvent pour leurs 360 jours de travail qu'un
salaire incroyablement minime. La possibilité de se procurer
des engrais à bas prix serait donc l'affranchissement de toute
notre agriculture. Mais un engrais tel que le guano, assez
concentré pour que le transport en soit avantageux, n'a en-
core été découvert que dans les îles du Pérou. Les navires
qui en font le transport doublent le cap Horn; ils n'auront
jamais d'avantages à prendre la mer Rouge. L'achèvement du
chemin de fer traversant l'isthme de Panama pourra dimi-
nuer les frais de transport de cet engrais actif, s'il n'est pas
toutefois achevé avant ce chemin. Des recherches plus suivies
et plus heureuses amèneront peut-être la découverte, dans
l'Inde et dans les îles, de gisements d'engrais organiques, de
phosphates ou de sels minéraux qui pourront être exploités,
grâce au canal. A ce point de vue, ses avantages pour la cul-
ture sont problématiques.
Mais il aura, il faut l'espérer, une action plus réelle sur
notre prospérité agricole en diminuant les frais d'exportation
de quelques-uns de nos produits, de nos vins surtout. D'après
les tableaux du commerce de 1857, publiés par les douanes,
on aurait exporté la quantité suivante de vins en 1857 pour
les Indes :
Pays. Litres. Francs.
Indes anglaises 476,216 1,051,654
— hollandaises. 328,744 911,168
Chine. 60,194 149,265
Total. 2,112,087
On expédie aussi de France vers ces pays de l'eau-de-vie,
de l'huile d'olive, des viandes salées, etc., et des viandes sa-
lées préparées en charcuterie. On en est très-friand dans les
Indes et en Chine.
Voici pour les valeurs d'exportation; elles sont faibles,
vous voyez; cette faiblesse ne vient ni de l'impuissance de
la production agricole ni de l'insuffisance de la marine comme
moyen de transport. Elle tient surtout au manque de relations
de nos négociants, à l'absence de cette initiative, cette har-
diesse qui fait la fortune de ceux d'Angleterre! Je vous assure
que si les caves qui reçoivent nos meilleurs crus, que si les
alambics qui brûlent les eaux-de-vie de Cognac, eussent
appartenu à des négociants de la cité de Londres, c'est par
milliers d'hectolitres et non par hectolitres que nos vins et nos
eaux-de-vie se placeraient avantageusement dans, les Indes et
la Chine. Les marchands qui ont fait le triple tour de force
de conquérir des royaumes entiers pour y répandre leurs co
tons et y recueillir l'opium et l'argent; de forcer les barrières
d'un empire impénétrable pour avoir en échange d'hallucina-
tions son thé et son argent; enfin, de mettre à la mode dans
l'Europe entière ce débilitant breuvage qui leur vaut un bel
argent; ces marchands au génie inventif et conquérant eussent
depuis longtemps fait accepter partout le vin, cette boisson
naturelle, généreuse, qu'il est partout si aisé d'aimer. Mais
notre commerce est à peine représenté dans les Indes et en
Chine; nous avons quelques comptoirs français à Canton, un
seul à Shang-haï; nous en comptons quelques rares à Cal-
cutta et à Singapore; mais, auprès d'une maison française,
il s'en élève cent anglaises et un nombre égal d'américaines.
Ajoutez à cela que le commerce des vins doit être le plus loyal
de tous, et que plus d'une fois il a suffi de I_ques expédi-
tions frauduleuses, quant à la o" et à la quantité, en-
voyées par quelques gens sans foi, pour faire perdre les
labeurs, les démarches de nos maisons honorables.
Vous n'ignorez pas non plus que dès maintenant le fro-
mage et le beurre, lorsqu'ils peuvent arriver bien conservés
dans les îles anglaises, à Maurice, à Ceylan, dans les Indes,
s'y vendent à des prix très-élevés. Le percement de l'isthme,
en réduisant le trajet à une quarantaine de jours, rendra
cette conservation plus facile. Un tel débouché semble insi-
gnifiant; les profits que nous pourrions en retirer sont cepen-
dant considérables. Un historien, M. Augustin Thierry, dit
dans une de ses pages que les Hollandais ont su changer leurs
tonnes infectées de fromage en tonnes d'or. M. A. Thierry, en
disant cela, croyait faire une figure de rhétorique; il disait
la simple vérité.
En résumé, le percement de l'isthme ne créera pas de con-
currences redoutables à notre agriculture, il lui ouvrira même
des débouchés qui iront croissant avec la tranquillité et les
progrès en un bien-être des pays d'Asie. Les facilités de
transport maritime ne manqueront pas à l'agriculture, le
succès dépendra totalement de l'élément commercial, de l'ac-
tivité que nos négociants sauront imprimer à leurs affaires
dans les Indes, de la liberté qu'ils auront dans leur com-
merce; car, si nous voulons que les peuples de ces pays nous
achètent notre vin, notre huile, les produits de nos laiteries,
il faut que nos négociants leur prennent en compte leurs
propres produits , leurs tissus, leur café, leur thé, leurs petits
meubles, leurs mille futilités sur lesquelles des artistes pa-
tients ont représenté xde brillantes fantaisies. En résumé,
si on accorde à nos négociants toute facilité et toute franchise
d'importation et d'exportation; si, de leur côté, nos négo-
ciants veulent faire preuve de plus d'initiative dans ce loin-
tain commerce, notre agriculture tirera du percement de
l'isthme de Suez des avantages incontestables.
FÉLIX VIDALIN,
Ancien élève de l'École polytechnique, propriétaire à Tintignac (Corrèze).
où les villes ont une étendue et une condensation dont on n'a
pas d'exemple en Europe. Au-dessous de castes privilégiées,
gorgées de richesses, par suite très-peu nombreuses, pullule une
nation famélique, plongée dans un dénûment absolu, qui ne
reçoit jamais d'assistance, si ce n'est de nos missionnaires.
De tels pays ne sauraient de longtemps se poser en pays d'ex-
portation de grains. L'Egypte exporte; mais, grâce aux inon-
dations du Nil, elle a fréquemment deux récoltes par an, et
la fertilité de son sol est unique. La Russie exporte, mais
grâce à une étendue excessive de terrain, hors de proportion
avec la population, qui permet au paysan russe de laisser
chômer ses terres de longues années; mais que la population
vienne à croître en Russie, à atteindre seulement la propor-
tion de nos départements les plus misérables, les moins peu-
plés, et les plaines de la mer Noire suffiront à peine à la
consommation intérieure.
La crainte de voir le canal de Suez mettre à nos portes
une concurrence nouvelle produisant plus que nous, à meilleur
marché que nous, malgré les frais et les avaries de transport,
ne saurait donc nous inquiéter un instant. Passons à l'examen
de l'influence heureuse que ces voies plus directes de commu-
nication avec des continents nouveaux pourraient avoir pour
notre culture. Il suffirait pour cela qu'elles pussent, soit nous
procurer des substances fertilisantes à bon marché et en abon-
dance, soit nous ouvrir des débouchés nouveaux pour nos pro
duits.
Il est un fait incontestable, c'est que les terres naturelle-
ment fertiles, ou fortement fumées, sont les seules qui payent
la rente et le travail; les autres terres, je viens, je crois, de
nommer les deux tiers de la France, payent souvent le fer-
mage, mais le travail rarement. En un mot, tous les cultiva-
teurs qui, n'étant pas valets de ferme, exploitent par eux-
mêmes, ne retrouvent pour leurs 360 jours de travail qu'un
salaire incroyablement minime. La possibilité de se procurer
des engrais à bas prix serait donc l'affranchissement de toute
notre agriculture. Mais un engrais tel que le guano, assez
concentré pour que le transport en soit avantageux, n'a en-
core été découvert que dans les îles du Pérou. Les navires
qui en font le transport doublent le cap Horn; ils n'auront
jamais d'avantages à prendre la mer Rouge. L'achèvement du
chemin de fer traversant l'isthme de Panama pourra dimi-
nuer les frais de transport de cet engrais actif, s'il n'est pas
toutefois achevé avant ce chemin. Des recherches plus suivies
et plus heureuses amèneront peut-être la découverte, dans
l'Inde et dans les îles, de gisements d'engrais organiques, de
phosphates ou de sels minéraux qui pourront être exploités,
grâce au canal. A ce point de vue, ses avantages pour la cul-
ture sont problématiques.
Mais il aura, il faut l'espérer, une action plus réelle sur
notre prospérité agricole en diminuant les frais d'exportation
de quelques-uns de nos produits, de nos vins surtout. D'après
les tableaux du commerce de 1857, publiés par les douanes,
on aurait exporté la quantité suivante de vins en 1857 pour
les Indes :
Pays. Litres. Francs.
Indes anglaises 476,216 1,051,654
— hollandaises. 328,744 911,168
Chine. 60,194 149,265
Total. 2,112,087
On expédie aussi de France vers ces pays de l'eau-de-vie,
de l'huile d'olive, des viandes salées, etc., et des viandes sa-
lées préparées en charcuterie. On en est très-friand dans les
Indes et en Chine.
Voici pour les valeurs d'exportation; elles sont faibles,
vous voyez; cette faiblesse ne vient ni de l'impuissance de
la production agricole ni de l'insuffisance de la marine comme
moyen de transport. Elle tient surtout au manque de relations
de nos négociants, à l'absence de cette initiative, cette har-
diesse qui fait la fortune de ceux d'Angleterre! Je vous assure
que si les caves qui reçoivent nos meilleurs crus, que si les
alambics qui brûlent les eaux-de-vie de Cognac, eussent
appartenu à des négociants de la cité de Londres, c'est par
milliers d'hectolitres et non par hectolitres que nos vins et nos
eaux-de-vie se placeraient avantageusement dans, les Indes et
la Chine. Les marchands qui ont fait le triple tour de force
de conquérir des royaumes entiers pour y répandre leurs co
tons et y recueillir l'opium et l'argent; de forcer les barrières
d'un empire impénétrable pour avoir en échange d'hallucina-
tions son thé et son argent; enfin, de mettre à la mode dans
l'Europe entière ce débilitant breuvage qui leur vaut un bel
argent; ces marchands au génie inventif et conquérant eussent
depuis longtemps fait accepter partout le vin, cette boisson
naturelle, généreuse, qu'il est partout si aisé d'aimer. Mais
notre commerce est à peine représenté dans les Indes et en
Chine; nous avons quelques comptoirs français à Canton, un
seul à Shang-haï; nous en comptons quelques rares à Cal-
cutta et à Singapore; mais, auprès d'une maison française,
il s'en élève cent anglaises et un nombre égal d'américaines.
Ajoutez à cela que le commerce des vins doit être le plus loyal
de tous, et que plus d'une fois il a suffi de I_ques expédi-
tions frauduleuses, quant à la o" et à la quantité, en-
voyées par quelques gens sans foi, pour faire perdre les
labeurs, les démarches de nos maisons honorables.
Vous n'ignorez pas non plus que dès maintenant le fro-
mage et le beurre, lorsqu'ils peuvent arriver bien conservés
dans les îles anglaises, à Maurice, à Ceylan, dans les Indes,
s'y vendent à des prix très-élevés. Le percement de l'isthme,
en réduisant le trajet à une quarantaine de jours, rendra
cette conservation plus facile. Un tel débouché semble insi-
gnifiant; les profits que nous pourrions en retirer sont cepen-
dant considérables. Un historien, M. Augustin Thierry, dit
dans une de ses pages que les Hollandais ont su changer leurs
tonnes infectées de fromage en tonnes d'or. M. A. Thierry, en
disant cela, croyait faire une figure de rhétorique; il disait
la simple vérité.
En résumé, le percement de l'isthme ne créera pas de con-
currences redoutables à notre agriculture, il lui ouvrira même
des débouchés qui iront croissant avec la tranquillité et les
progrès en un bien-être des pays d'Asie. Les facilités de
transport maritime ne manqueront pas à l'agriculture, le
succès dépendra totalement de l'élément commercial, de l'ac-
tivité que nos négociants sauront imprimer à leurs affaires
dans les Indes, de la liberté qu'ils auront dans leur com-
merce; car, si nous voulons que les peuples de ces pays nous
achètent notre vin, notre huile, les produits de nos laiteries,
il faut que nos négociants leur prennent en compte leurs
propres produits , leurs tissus, leur café, leur thé, leurs petits
meubles, leurs mille futilités sur lesquelles des artistes pa-
tients ont représenté xde brillantes fantaisies. En résumé,
si on accorde à nos négociants toute facilité et toute franchise
d'importation et d'exportation; si, de leur côté, nos négo-
ciants veulent faire preuve de plus d'initiative dans ce loin-
tain commerce, notre agriculture tirera du percement de
l'isthme de Suez des avantages incontestables.
FÉLIX VIDALIN,
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