Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1864-09-15
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4673 Nombre total de vues : 4673
Description : 15 septembre 1864 15 septembre 1864
Description : 1864/09/15 (A9,N198). 1864/09/15 (A9,N198).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k62033294
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 21/05/2012
JOURNAL DE L'UNION DES DEUX MERS. 395
suite du moins. Je l'ai vue successivement changer
trois ou quatre fois de profession pendant les deux
semaines que j'ai passées dans l'isthme. Je me trou-
vais avec elle dans le chemin de fer qui me trans-
portait à Zagazig ; à la station de Benah, où eut
lieu ce fait inouï que j'ai raconté au chapitre II, et
où nous vîmes lancer à la volée tous nos bagages sur
des tas de charbon, nous étions quatre compagnons
de voyage, venus en Égypte sur le même bateau
et allant ensemble dans l'isthme. Dans le tumulte
occasionné par l'incurie brutale des employés du
chemin de fer, je vis une femme qui se démenait
sans être ahurie le moins du monde, et se tirait
d'affaire avec une telle aisance qu'elle me frappa
tout d'abord. Son costume bizarre n'indiquait aucune
nationalité, mais je fus bientôt fixé en l'entendant
parler français; je demandai qui elle était, on me
répondit : « Comment ! vous ne la connaissez pas ?
mais c'est la Gazelle ! » Et d'entamer sa biographie
au milieu des éclats de rire. A Zagazig, où nous
eûmes quelque peine à trouver un gîte, nous déjeu-
nions le lendemain matin, avant de partir, dans
notre modeste cabaret, lorsque nous vîmes entrer
une dame dans une tenue fort convenable (elle por-
tait, ma foi ! une casaque de velours noir, brodée de
jais) ; elle prit sa place modestement, répondit en
fort bons termes aux questions qu'on lui adressa,
puis, son repas terminé, elle sortit. Une demi-heure
après, une femme voguait dans un léger canot sur
le canal d'eau douce, affublée d'un accoutrement
impossible, qui tenait de la cantinière et de la dan-
seuse de corde : c'était la Gazelle !
» Elle avait dit à table qu'elle se rendait en
toute hâte à Port-Saïd, pour réclamer un dépôt de
marchandises laissé dans un précédent voyage, et
sur lequel elle comptait pour réaliser des capitaux
et rentrer en France. Nous avons su plus tard qu'une
malle avait été, en effet, consignée dans une au-
berge, en garantie de dépenses faites précédemment,
et que lorsque sa propriétaire était venue pour la
réclamer, on l'avait ouverte (la malle), et on y avait
trouvé trois peignes de corne et deux pots de pom-
made estimés. 2 francs 1 En arrivant à Ismaïlia, on
nous salua de la fâcheuse nouvelle qu'aucune bar-
que n'était disponible, et que.toutes avaient été mises
en réquisition pour le service ; ce fut alors que je
m'estimai heureux de recevoir l'hospitalité dans le
canot du trésorier. Quant à la Gazelle, qui nous
avait devancés, elle avait bien su se trouver une
embarcation, et elle était déjà loin que je me de-
mandais encore comment je poursuivrais mon voya-
ge. Il en est ainsi dans toutes les occasions : là où
les autres sont embarrassés, elle se joue des diffi-
cultés.
» Il paraît toutefois que la campagne de cet hiver
ne lui a pas réussi, malgré la multiplicité de ses
ressources, car je l'ai revue à Port-Saïd, à la fenêtre
du rez-de-chaussée d'une auberge, celle probable-
ment où elle avait laissé ses marchandises. Elle y
remplissait l'humble office de lingère et raccommo-
dait les serviettes et les torchons de l'établissement,
jusqu'à ce qu'elle se fût, sans doute, libérée de
quelques obligations antérieures, car elle répondit
à une personne qui alla lui parler avec intérêt,
qu'elle avait un engagement. Pauvre Gazelle ! c'était
pitié de la voir ainsi condamnée à cette tâche sé-
dentaire, elle qui a tant besoin d'air et d'activité, et
à qui tout moyen de locomotion est bon, bateau,
dromadaire ou simple baudet. Elle paraissait rési-
gnée à son sort, toutefois, et suivait des yeux son
aiguille avec la contenance modeste et attentive de
la plus consciencieuse des ouvrières.
» Quels sont les antécédents de la Gazelle ! Beau-
coup de bruits circulent sur ce point, mais aucun
n'a pris assez de consistance pour arriver à la cer-
titude. On ignore son vrai nom, mais on croit sa-
voir qu'elle appartient à une bonne famille pari-
sienne et a reçu une certaine éducation, que révè-
lent souvent ses manières et son langage. Est-elle
fille, épouse ou veuve ? Personne ne pourra vous le
dire d'une façon précise. Elle peut avoir trente-deux
à trente-quatre ans; elle a été évidemment très-jolie
et ne manque pas encore aujourd'hui d'un certain
charme, quand elle soigne sa tenue , malgré son
visage fatigué et son teint brûlé par le soleil d'A-
frique.
» En résumé, et malgré les quolibets qui la sui-
vent dans ses courses aventureuses, j'aime à croire
que c'est une de ces créatures déclassées, incapables
de subir aucune contrainte, et grisées par le grand
air et la liberté bien plus que l'inconduite. On par-
donnera à un vieux coureur comme moi de se mon-
trer indulgent pour 4a Gazelle, colporteuse ou lin-
gère, maîtresse de langue (1) ou parfumeuse, mo-
diste et même au besoin garde-malade, au fond
toujours bonne et dévouée.
» Je pourrais ajouter beaucoup à ces petits ta-
bleaux, mais je pense que ce qui précède suffira pour
initier le lecteur aux scènes variées et aux physio-
nomies austères ou piquantes que l'on rencontre à
chaque pas dans l'exploration de l'isthme de Suez. u
(1) On dit qu'elle a essayé de montrer le français aux Arabes.
suite du moins. Je l'ai vue successivement changer
trois ou quatre fois de profession pendant les deux
semaines que j'ai passées dans l'isthme. Je me trou-
vais avec elle dans le chemin de fer qui me trans-
portait à Zagazig ; à la station de Benah, où eut
lieu ce fait inouï que j'ai raconté au chapitre II, et
où nous vîmes lancer à la volée tous nos bagages sur
des tas de charbon, nous étions quatre compagnons
de voyage, venus en Égypte sur le même bateau
et allant ensemble dans l'isthme. Dans le tumulte
occasionné par l'incurie brutale des employés du
chemin de fer, je vis une femme qui se démenait
sans être ahurie le moins du monde, et se tirait
d'affaire avec une telle aisance qu'elle me frappa
tout d'abord. Son costume bizarre n'indiquait aucune
nationalité, mais je fus bientôt fixé en l'entendant
parler français; je demandai qui elle était, on me
répondit : « Comment ! vous ne la connaissez pas ?
mais c'est la Gazelle ! » Et d'entamer sa biographie
au milieu des éclats de rire. A Zagazig, où nous
eûmes quelque peine à trouver un gîte, nous déjeu-
nions le lendemain matin, avant de partir, dans
notre modeste cabaret, lorsque nous vîmes entrer
une dame dans une tenue fort convenable (elle por-
tait, ma foi ! une casaque de velours noir, brodée de
jais) ; elle prit sa place modestement, répondit en
fort bons termes aux questions qu'on lui adressa,
puis, son repas terminé, elle sortit. Une demi-heure
après, une femme voguait dans un léger canot sur
le canal d'eau douce, affublée d'un accoutrement
impossible, qui tenait de la cantinière et de la dan-
seuse de corde : c'était la Gazelle !
» Elle avait dit à table qu'elle se rendait en
toute hâte à Port-Saïd, pour réclamer un dépôt de
marchandises laissé dans un précédent voyage, et
sur lequel elle comptait pour réaliser des capitaux
et rentrer en France. Nous avons su plus tard qu'une
malle avait été, en effet, consignée dans une au-
berge, en garantie de dépenses faites précédemment,
et que lorsque sa propriétaire était venue pour la
réclamer, on l'avait ouverte (la malle), et on y avait
trouvé trois peignes de corne et deux pots de pom-
made estimés. 2 francs 1 En arrivant à Ismaïlia, on
nous salua de la fâcheuse nouvelle qu'aucune bar-
que n'était disponible, et que.toutes avaient été mises
en réquisition pour le service ; ce fut alors que je
m'estimai heureux de recevoir l'hospitalité dans le
canot du trésorier. Quant à la Gazelle, qui nous
avait devancés, elle avait bien su se trouver une
embarcation, et elle était déjà loin que je me de-
mandais encore comment je poursuivrais mon voya-
ge. Il en est ainsi dans toutes les occasions : là où
les autres sont embarrassés, elle se joue des diffi-
cultés.
» Il paraît toutefois que la campagne de cet hiver
ne lui a pas réussi, malgré la multiplicité de ses
ressources, car je l'ai revue à Port-Saïd, à la fenêtre
du rez-de-chaussée d'une auberge, celle probable-
ment où elle avait laissé ses marchandises. Elle y
remplissait l'humble office de lingère et raccommo-
dait les serviettes et les torchons de l'établissement,
jusqu'à ce qu'elle se fût, sans doute, libérée de
quelques obligations antérieures, car elle répondit
à une personne qui alla lui parler avec intérêt,
qu'elle avait un engagement. Pauvre Gazelle ! c'était
pitié de la voir ainsi condamnée à cette tâche sé-
dentaire, elle qui a tant besoin d'air et d'activité, et
à qui tout moyen de locomotion est bon, bateau,
dromadaire ou simple baudet. Elle paraissait rési-
gnée à son sort, toutefois, et suivait des yeux son
aiguille avec la contenance modeste et attentive de
la plus consciencieuse des ouvrières.
» Quels sont les antécédents de la Gazelle ! Beau-
coup de bruits circulent sur ce point, mais aucun
n'a pris assez de consistance pour arriver à la cer-
titude. On ignore son vrai nom, mais on croit sa-
voir qu'elle appartient à une bonne famille pari-
sienne et a reçu une certaine éducation, que révè-
lent souvent ses manières et son langage. Est-elle
fille, épouse ou veuve ? Personne ne pourra vous le
dire d'une façon précise. Elle peut avoir trente-deux
à trente-quatre ans; elle a été évidemment très-jolie
et ne manque pas encore aujourd'hui d'un certain
charme, quand elle soigne sa tenue , malgré son
visage fatigué et son teint brûlé par le soleil d'A-
frique.
» En résumé, et malgré les quolibets qui la sui-
vent dans ses courses aventureuses, j'aime à croire
que c'est une de ces créatures déclassées, incapables
de subir aucune contrainte, et grisées par le grand
air et la liberté bien plus que l'inconduite. On par-
donnera à un vieux coureur comme moi de se mon-
trer indulgent pour 4a Gazelle, colporteuse ou lin-
gère, maîtresse de langue (1) ou parfumeuse, mo-
diste et même au besoin garde-malade, au fond
toujours bonne et dévouée.
» Je pourrais ajouter beaucoup à ces petits ta-
bleaux, mais je pense que ce qui précède suffira pour
initier le lecteur aux scènes variées et aux physio-
nomies austères ou piquantes que l'on rencontre à
chaque pas dans l'exploration de l'isthme de Suez. u
(1) On dit qu'elle a essayé de montrer le français aux Arabes.
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