Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1864-07-15
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 15 juillet 1864 15 juillet 1864
Description : 1864/07/15 (A9,N194)-1864/07/20. 1864/07/15 (A9,N194)-1864/07/20.
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6203325g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 21/05/2012
:3Ô4 T L'ISTHME DE SUEZ,
petite voix flûtée : « Bakchis, iah kaougha 1 » Un cadeau,
oh 1 monsieur 1 Puis il me conduit vers sa mère, qui
d'une distance de quatre ou cinq pas me demande :
« Es-tu docteur?—Non, pourquoi? » répondis-je.— Elle
se leva et me conduisit vers quelque chose d'informe,
abrité des rayons du soleil par une seule planche, re-
posant sur deux pans de mur. Un pauvre petit esclave
était là, assis, les genoux cassés et enveloppés de gue-
nilles. Cette pauvre petite créature n'avait reçu les
soins d'aucun docteur ; elle était tellement affaiblie,
qu'elle ne pouvait presque se faire entendre. A peine
put-elle sourire et me remercier d'un doux et triste
regard de la pièce blanche que je mis dans sa petite
main décharnée. Au premier abord, j'avais vu dans
cet enfant le fils de la femme que j'avais devant moi ;
il n'en était rien : elle me dit naïvement que c'était
son esclave, qu'elle l'avait payé 110 talaris, de l'autre
côté de la côte, mais qu'elle avait fait là une mauvaise
affaire. En vain je la priai de vouloir bien mettre ce
malheureux être à l'ombre des orangers ; elle ne dai-
gna pas y consentir. Il fallut la promesse d'un bon
bakchis pour l'y déterminer. Je sortis de là profondé-
ment ému, et j'allai à la recherche de mes compagnons
que je croyais assis à l'ombre de la petite forêt de pal-
miers. En arrivant au troisième jardin, j'entendis par-
ler un italien douteux; j'entrai et je trouvai ces mes-
sieurs installés devant une vraie table, sur laquelle
s'étendait une vraie nappe, et nappe, qui mieux est,
d'une entière blancheur, comme on le dit ou le chante à
l'Opéra-Comique, dans la langue de M. Planard. 0 pro-
preté, où vas-tu te nicher ?
» Un Italien spéculant sur les visiteurs est venu s'é-
tablir là avec sa femme et ses enfants. Il est le seul
Européen habitant l'oasis, vit de fruits, héberge et
nourrit les rares voyageurs qui se rendent à la fon-
taine.
» Notre dîner se composa d'œufs au plat, d'œufs en
omelette, d'œufs en salade. La carte des vins se com-
posait de : bière, eau saumâtre à volonté. Le pain était
sec; mais humecté d'eau, il n'avait rien de désagréable;
notre hôte était amplement approvisionné de biscuit.
Un bon café et des masses de cigares complétèrent
notre repas. Ces messieurs firent la sieste comme s'ils
avaient à digérer un diner pris au Palais-Royal chez
les Frères-Provençaux ; je crois même qu'ils dormirent
mieux, la latitude aidant. Pour moi qui ne fais pas de
sieste, j'allai en éclaireur, à la rencontre de l'inconnu;
je^n'eus pas à le regretter. J'y appris beaucoup de cho-
ses ; je sus, entre autres, que la position de notre hôte
n'était pas tout à fait sans hasards; il courait même
à chaque instant le risque d'être plus ou moins égor-
gé, d'où il suit qu'à le bien prendre, sa vie n'est pas
aussi tranquille qu'elle en a l'air. Aux environs des
oasis vivent des tribus de Bédouins nomades, compo-
sées d'hommes qui n'ont d'autre industrie que celle
de détrousser les voyageurs et les caravanes. Parmi
ces tribus, soit jalousie de métier soit toute autre cause
également honnête, plusieurs sont ennemies depuis
plus d'un siècle, et il leur arrive de se rencontrer
parfois dans leurs pérégrinations. Alors on en vient
toujours aux mains. C'est ce qui arriva, il y a deux
ans, aux oasis de la fontaine de Moïse. Un Arabe, étran-
ger aux parties belligérantes, courut à Suez avertir
l'autorité, qui, cette fois-là, s'empressa d'accourir. La
tribu vaincue était en fuite ; — les morts étaient enter-
rés; — les vainqueurs fumaient en paix, et rien ne
trahissait une défaite ou une victoire. Malheur à celui
qui aurait, en ce cas, le courage de dire quelque chose
ou d'indiquer les inhumations ! Il paierait son indiscré-
tion de sa vie, un jour ou l'autre. — Je pousse jus-
qu'au bout mon exploration. Me voici dans le plus beau
des jardins de l'oasis ; je pourrais me croire dans le
parc du château de la Belle au bois dormait ; tout som-
meille autour de moi. Ma première rencontre est un
noir, dormant au pied d'un palmier ; plus loin une
négresse et un Arabe dorment à qui mieux mieux sous
une charmille grillagée. Oh 1 que Jean la Fontaine, qui
trouvait si bon de dormir, eût bien fait ici sa partie 1
— Plus j'avance, plus la végétation parait luxuriante ;
c'est à tel point que j'en éprouve un sentiment marqué
de fraîcheur ; c'était presque le frigus opacum de Virgile.
Au fond d'une allée d'orangers se trouve une maison
en terre, construite au bord d'un bassin; plus à gau-
che est une autre maison également en terre, mais
enduite d'une couche de chaux qui lui donne quelque
chose de civilisé. A travers un volet mal fermé, je re-
marque un homme porteur du costume syrien et
d'une figure assez blanche pour me permettre de le
supposer étranger au pays qu'il habite en ce moment.
Un instant après, je découvre une jeune fille d'une blan-
cheur de lait, — ou de lis si la comparaison vous plaît
davantage — (j'insiste sur la blancheur, le jaune
étant ici la couleur locale) ; donc, mon jeune lis, si
nous nous en tenons au lis, était habillé à l'euro-
péenne d'une robe de mousseline blanche à points
roses. Pour le coup, c'était une énigme et cela tour-
nait aux Mille et une Nuits ; j'entrai bravement, au
risque de me faire casser la tête par un eunuque. Je
me trouvai en présence 'd'un Arabe occupé à écrire,
et entouré d'une masse de livres manuscrits. Dès qu'il
me vit, il quitta sa plume et vint me prendre par la
main. Il voulut savoir d'abord, et ce fut sa première
demande, si nous allions nous comprendre. Sur ma ré-
ponse affirmative, il frappa trois fois dans ses mains, et
je vis apparaître la jeune fille, qui vint gracieusement
me déposer un semblant de baiser sur la main : c'est
ici le salut de l'hospitalité. Pauvre enfant ! à peine a"
t-elle dix ans, mais on lui en donnerait facilement
quinze. Quelle charmante figure et surtout quels beaux
yeux et quel beau regard. Oculi tui columbarum; quam
pulchra es, arnica ! Je voudrais me rappeler tout entier
le verset du saint cantique ; j'aimerais à en saluer ma
nouvelle connaissance ; elle me semble entourée de
ce baume de candeur et d'innocence qu'exhale le lis de
la vallée biblique, Lilium convallium. Elle est heureuse
avec son père et sa négresse ; jouant libre et tranquille
dans son jardin comme une jeune gazelle,
Sans crainte de voir dans l'ombre
Du bois sombre
Des yeux s'allumer soudain.
petite voix flûtée : « Bakchis, iah kaougha 1 » Un cadeau,
oh 1 monsieur 1 Puis il me conduit vers sa mère, qui
d'une distance de quatre ou cinq pas me demande :
« Es-tu docteur?—Non, pourquoi? » répondis-je.— Elle
se leva et me conduisit vers quelque chose d'informe,
abrité des rayons du soleil par une seule planche, re-
posant sur deux pans de mur. Un pauvre petit esclave
était là, assis, les genoux cassés et enveloppés de gue-
nilles. Cette pauvre petite créature n'avait reçu les
soins d'aucun docteur ; elle était tellement affaiblie,
qu'elle ne pouvait presque se faire entendre. A peine
put-elle sourire et me remercier d'un doux et triste
regard de la pièce blanche que je mis dans sa petite
main décharnée. Au premier abord, j'avais vu dans
cet enfant le fils de la femme que j'avais devant moi ;
il n'en était rien : elle me dit naïvement que c'était
son esclave, qu'elle l'avait payé 110 talaris, de l'autre
côté de la côte, mais qu'elle avait fait là une mauvaise
affaire. En vain je la priai de vouloir bien mettre ce
malheureux être à l'ombre des orangers ; elle ne dai-
gna pas y consentir. Il fallut la promesse d'un bon
bakchis pour l'y déterminer. Je sortis de là profondé-
ment ému, et j'allai à la recherche de mes compagnons
que je croyais assis à l'ombre de la petite forêt de pal-
miers. En arrivant au troisième jardin, j'entendis par-
ler un italien douteux; j'entrai et je trouvai ces mes-
sieurs installés devant une vraie table, sur laquelle
s'étendait une vraie nappe, et nappe, qui mieux est,
d'une entière blancheur, comme on le dit ou le chante à
l'Opéra-Comique, dans la langue de M. Planard. 0 pro-
preté, où vas-tu te nicher ?
» Un Italien spéculant sur les visiteurs est venu s'é-
tablir là avec sa femme et ses enfants. Il est le seul
Européen habitant l'oasis, vit de fruits, héberge et
nourrit les rares voyageurs qui se rendent à la fon-
taine.
» Notre dîner se composa d'œufs au plat, d'œufs en
omelette, d'œufs en salade. La carte des vins se com-
posait de : bière, eau saumâtre à volonté. Le pain était
sec; mais humecté d'eau, il n'avait rien de désagréable;
notre hôte était amplement approvisionné de biscuit.
Un bon café et des masses de cigares complétèrent
notre repas. Ces messieurs firent la sieste comme s'ils
avaient à digérer un diner pris au Palais-Royal chez
les Frères-Provençaux ; je crois même qu'ils dormirent
mieux, la latitude aidant. Pour moi qui ne fais pas de
sieste, j'allai en éclaireur, à la rencontre de l'inconnu;
je^n'eus pas à le regretter. J'y appris beaucoup de cho-
ses ; je sus, entre autres, que la position de notre hôte
n'était pas tout à fait sans hasards; il courait même
à chaque instant le risque d'être plus ou moins égor-
gé, d'où il suit qu'à le bien prendre, sa vie n'est pas
aussi tranquille qu'elle en a l'air. Aux environs des
oasis vivent des tribus de Bédouins nomades, compo-
sées d'hommes qui n'ont d'autre industrie que celle
de détrousser les voyageurs et les caravanes. Parmi
ces tribus, soit jalousie de métier soit toute autre cause
également honnête, plusieurs sont ennemies depuis
plus d'un siècle, et il leur arrive de se rencontrer
parfois dans leurs pérégrinations. Alors on en vient
toujours aux mains. C'est ce qui arriva, il y a deux
ans, aux oasis de la fontaine de Moïse. Un Arabe, étran-
ger aux parties belligérantes, courut à Suez avertir
l'autorité, qui, cette fois-là, s'empressa d'accourir. La
tribu vaincue était en fuite ; — les morts étaient enter-
rés; — les vainqueurs fumaient en paix, et rien ne
trahissait une défaite ou une victoire. Malheur à celui
qui aurait, en ce cas, le courage de dire quelque chose
ou d'indiquer les inhumations ! Il paierait son indiscré-
tion de sa vie, un jour ou l'autre. — Je pousse jus-
qu'au bout mon exploration. Me voici dans le plus beau
des jardins de l'oasis ; je pourrais me croire dans le
parc du château de la Belle au bois dormait ; tout som-
meille autour de moi. Ma première rencontre est un
noir, dormant au pied d'un palmier ; plus loin une
négresse et un Arabe dorment à qui mieux mieux sous
une charmille grillagée. Oh 1 que Jean la Fontaine, qui
trouvait si bon de dormir, eût bien fait ici sa partie 1
— Plus j'avance, plus la végétation parait luxuriante ;
c'est à tel point que j'en éprouve un sentiment marqué
de fraîcheur ; c'était presque le frigus opacum de Virgile.
Au fond d'une allée d'orangers se trouve une maison
en terre, construite au bord d'un bassin; plus à gau-
che est une autre maison également en terre, mais
enduite d'une couche de chaux qui lui donne quelque
chose de civilisé. A travers un volet mal fermé, je re-
marque un homme porteur du costume syrien et
d'une figure assez blanche pour me permettre de le
supposer étranger au pays qu'il habite en ce moment.
Un instant après, je découvre une jeune fille d'une blan-
cheur de lait, — ou de lis si la comparaison vous plaît
davantage — (j'insiste sur la blancheur, le jaune
étant ici la couleur locale) ; donc, mon jeune lis, si
nous nous en tenons au lis, était habillé à l'euro-
péenne d'une robe de mousseline blanche à points
roses. Pour le coup, c'était une énigme et cela tour-
nait aux Mille et une Nuits ; j'entrai bravement, au
risque de me faire casser la tête par un eunuque. Je
me trouvai en présence 'd'un Arabe occupé à écrire,
et entouré d'une masse de livres manuscrits. Dès qu'il
me vit, il quitta sa plume et vint me prendre par la
main. Il voulut savoir d'abord, et ce fut sa première
demande, si nous allions nous comprendre. Sur ma ré-
ponse affirmative, il frappa trois fois dans ses mains, et
je vis apparaître la jeune fille, qui vint gracieusement
me déposer un semblant de baiser sur la main : c'est
ici le salut de l'hospitalité. Pauvre enfant ! à peine a"
t-elle dix ans, mais on lui en donnerait facilement
quinze. Quelle charmante figure et surtout quels beaux
yeux et quel beau regard. Oculi tui columbarum; quam
pulchra es, arnica ! Je voudrais me rappeler tout entier
le verset du saint cantique ; j'aimerais à en saluer ma
nouvelle connaissance ; elle me semble entourée de
ce baume de candeur et d'innocence qu'exhale le lis de
la vallée biblique, Lilium convallium. Elle est heureuse
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