Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1864-06-15
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4673 Nombre total de vues : 4673
Description : 15 juin 1864 15 juin 1864
Description : 1864/06/15 (A9,N192). 1864/06/15 (A9,N192).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6203323n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 21/05/2012
276 L'ISTHME DE SUEZ,
» Deux ou trois années après ce fatal événement, je
me trouvais à Rome ; toute la famille de mon ami était
dispersée, lui-même ne m'avait pas donné de s s nou-
velles ; mais j'avais entendu dire vaguement qu'il était
dans la capitale du monde chrétien. Je le cherchai et je
finis par le découvrir. Le professeur de philosophie de
Stanislas, l'instituteur de mon fils, le père d'une nom-
breuse et brillante famille était prêtre ; il était l'un des
aumôniers de Saint-Louis des Français! Malgré l'im-
pression de tristesse sous laquelle je vous écris, je ne
puis me rappeler sans sourire les détails de notre pre-
mière entrevue. Mon ami commença par me regarder
d'un air effaré, puis il me sauta au cou, m'étreignant
de toutes ses forces et me disant : « Je vous ai cru
» mort; que de De Profundis j'ai dit à votre intention ! D
— « Merci, mon cher ami, ils me profiteront pour une
» autre fois, mais vous voyez que pour le moment je
» n'en ai pas besoin. » Pourquoi faut-il que je sois si
promptement appelé à lui rendre, et malheureusement
plus à propos, un service semblable ! A partir de ce
moment, pendant un séjour de plusieurs semaines que
je fis à Rome, j'allais passer presque toutes mes soi-
rées en tête à tête avec mon ami au coin de son feu,
et nous avions de longues et intimes conversations qui
se prolongeaient jusqu'au moment de la fermeture de la
maison. Souvent le concierge était obligé de monter
pour me prévenir que l'heure de la retraite était ar-
rivée.
» Dans ces longues conversations dont aucun impor-
tun ne venait troubler l'intimité, il m'apprit la suite
de ses aventures. Après la mort de Mme Gibon il avait
été frappé d'une maladie qui l'avait mis à toute extré-
mité. Il avait reçu les derniers sacrements de l'Eglise,
puis avait fini par se rétablir à peu près; mais on lui
avait prescrit de quitter le climat glacial de Varsovie
pour un climat plus tempéré. C'est alors qu'il s'était
dirigé sur Rome sans se douter de ce qu'il allait y
faire et y devenir. Il se trouva en rapport avec
M. de M., ancien diplomate distingué, que des cha-
grins domestiques avaient décidé à quitter le monde et
qui faisait ses études ecclésiastiques au séminaire fran-
çais de Rome. M. Gibon se décida à suivre cet exemple.
Comme il avait une grande habitude du travail et une
grande facilité, ses études théologiques ne furent pas
longues, et je le retrouvais, ainsi qu'il me le disait lui-
même, le rare exemple d'un homme qui a reçu les
sept sacrements de l'Eglise.
® Il déplorait la perte de manuscrits qui lui avaient
été pris par la douane de Varsovie, et sur lesquels il
n'avait jamais pu remettre la main. Ces manuscrits
contenaient toutes ses leçons de philosophie coordon-
nées en ouvrage complet. Comme ses fonctions lui
laissaient beaucoup de loisirs, je l'engageai à re-
mettre courageusement la main à l'œuvre et il finit
par s'y décider. C'est à cette circonstance que je re-
connus, plus que jamais, l'aimable simplicité, la candeur
presque enfantine de cet excellent esprit. Chaque
soir il me lisait le travail du jour; j'avais lieu d'admirer
des pages d'une éloquence véritable, mais quelquefois
aussi de contredire des idées qui me paraissaient
fausses ou exagérées. Il prenait feu avec sa vivacité
ordinaire, se défendait avec d'autant plus d'acharne-
ment que sa cause était plus mauvaise, et le lendemain
je retrouvais le travail de la veille complètement re-
commencé dans le sens que je lui avais indiqué et où
les passages qui m'avaient choqué étaient effacés. Je
lui citais alors les vers d'Horace :
Fungar vice cotis, acutum,
Redderc quœ ferrum valet exsors ipsa secundi.
» Après de longues hésitations sur la forme et le titre
à donner à cet ouvrage de philosophie religieuse il s'était
décidé à la forme épistolaire et au titre de Lettres d'un
clérical à un philosophe, acceptant ainsi bravement la
dénomination que certains journaux ont donnée à ceux
qui soutiennent et défendent le christianisme. Je ne
crois pas commettre une indiscrétion en vous disant
que le philosophe auquel il destinait la dédicace de
ses lettres était son ancien et illustre condisciple,
M. Saint-Marc Girardin. Malheureusement pour le pu-
blic et pour sa réputation, quand M. Gibon n'eut
plus l'excitation de la présence d'un auditeur dévoué, il
abandonna son œuvre, ainsi que je l'appris depuis, et
je crains bien que ses enfants n'aient trouvé dans ses
papiers que les traces de cet ouvrage.
» Après un séjour assez prolongé à Rome, il me fallut
non sans regrets quitter cette douce intimité, sans
savoir si elle pourrait jamais se renouveler. La Provi-
dence nous ménageait une réunion plus prochaine que
je ne le supposais, mais qui devait hélas! être la der-
nière.
» Dans le commencement de septembre 1862, je reçus
de M. Gibon une lettre datée de Bourges, lettre dans
laquelle il me faisait de longs adieux, attendu qu'à la
fin de ce même mois il s'embarquait pour aller
prendre possession de sa paroisse de l'isthme. Je lui
répondis par le retour du courrier que nos adieux ne
seraient pas si longs qu'il le supposait, que moi-même
je partais pour l'Egypte à la fin du mois avec quel-
ques amis, et que probablement nous ferions route en-
semble. En effet nous nous retrouvâmes à Marseille,
je n'ai pas besoin de vous dire avec quel plaisir, et
fimes ensemble la traversée de ce port à Alexandrie.
D La détermination de mon ami re m'avait pas
beaucoup surpris. Sa position à Saint-Louis des Fran-
çais n'était que provisoira et ne lui allait que médio-
crement. Habitué à professer, et par conséquent à
m mander, la soumission à une règle fixe, à un su-
périeur, ne lui allait pas. Sa santé profondément altérée
depuis sa maladie de Varsovie, exigeait le grand air et
le mouvement extérieur. L'indépendance d'une mission
où il était seul et destiné à devenir chef lui convenait
infiniment mieux, et j'espérais que l'air sec et sain du
désert pourrait rétablir ses poumons, ou du moins
prolonger son existence.
D Nous nous quittâmes à Alexandrie pour nous re-
trouver au village du Seuil, où il commençait son ins-
tallation quand j'y arrivai. La belle entreprise du canal
de Suez excite l'enthousiasme des esprits les plus
froids ; qu'on juge de l'émotion qu'elle avait produite
» Deux ou trois années après ce fatal événement, je
me trouvais à Rome ; toute la famille de mon ami était
dispersée, lui-même ne m'avait pas donné de s s nou-
velles ; mais j'avais entendu dire vaguement qu'il était
dans la capitale du monde chrétien. Je le cherchai et je
finis par le découvrir. Le professeur de philosophie de
Stanislas, l'instituteur de mon fils, le père d'une nom-
breuse et brillante famille était prêtre ; il était l'un des
aumôniers de Saint-Louis des Français! Malgré l'im-
pression de tristesse sous laquelle je vous écris, je ne
puis me rappeler sans sourire les détails de notre pre-
mière entrevue. Mon ami commença par me regarder
d'un air effaré, puis il me sauta au cou, m'étreignant
de toutes ses forces et me disant : « Je vous ai cru
» mort; que de De Profundis j'ai dit à votre intention ! D
— « Merci, mon cher ami, ils me profiteront pour une
» autre fois, mais vous voyez que pour le moment je
» n'en ai pas besoin. » Pourquoi faut-il que je sois si
promptement appelé à lui rendre, et malheureusement
plus à propos, un service semblable ! A partir de ce
moment, pendant un séjour de plusieurs semaines que
je fis à Rome, j'allais passer presque toutes mes soi-
rées en tête à tête avec mon ami au coin de son feu,
et nous avions de longues et intimes conversations qui
se prolongeaient jusqu'au moment de la fermeture de la
maison. Souvent le concierge était obligé de monter
pour me prévenir que l'heure de la retraite était ar-
rivée.
» Dans ces longues conversations dont aucun impor-
tun ne venait troubler l'intimité, il m'apprit la suite
de ses aventures. Après la mort de Mme Gibon il avait
été frappé d'une maladie qui l'avait mis à toute extré-
mité. Il avait reçu les derniers sacrements de l'Eglise,
puis avait fini par se rétablir à peu près; mais on lui
avait prescrit de quitter le climat glacial de Varsovie
pour un climat plus tempéré. C'est alors qu'il s'était
dirigé sur Rome sans se douter de ce qu'il allait y
faire et y devenir. Il se trouva en rapport avec
M. de M., ancien diplomate distingué, que des cha-
grins domestiques avaient décidé à quitter le monde et
qui faisait ses études ecclésiastiques au séminaire fran-
çais de Rome. M. Gibon se décida à suivre cet exemple.
Comme il avait une grande habitude du travail et une
grande facilité, ses études théologiques ne furent pas
longues, et je le retrouvais, ainsi qu'il me le disait lui-
même, le rare exemple d'un homme qui a reçu les
sept sacrements de l'Eglise.
® Il déplorait la perte de manuscrits qui lui avaient
été pris par la douane de Varsovie, et sur lesquels il
n'avait jamais pu remettre la main. Ces manuscrits
contenaient toutes ses leçons de philosophie coordon-
nées en ouvrage complet. Comme ses fonctions lui
laissaient beaucoup de loisirs, je l'engageai à re-
mettre courageusement la main à l'œuvre et il finit
par s'y décider. C'est à cette circonstance que je re-
connus, plus que jamais, l'aimable simplicité, la candeur
presque enfantine de cet excellent esprit. Chaque
soir il me lisait le travail du jour; j'avais lieu d'admirer
des pages d'une éloquence véritable, mais quelquefois
aussi de contredire des idées qui me paraissaient
fausses ou exagérées. Il prenait feu avec sa vivacité
ordinaire, se défendait avec d'autant plus d'acharne-
ment que sa cause était plus mauvaise, et le lendemain
je retrouvais le travail de la veille complètement re-
commencé dans le sens que je lui avais indiqué et où
les passages qui m'avaient choqué étaient effacés. Je
lui citais alors les vers d'Horace :
Fungar vice cotis, acutum,
Redderc quœ ferrum valet exsors ipsa secundi.
» Après de longues hésitations sur la forme et le titre
à donner à cet ouvrage de philosophie religieuse il s'était
décidé à la forme épistolaire et au titre de Lettres d'un
clérical à un philosophe, acceptant ainsi bravement la
dénomination que certains journaux ont donnée à ceux
qui soutiennent et défendent le christianisme. Je ne
crois pas commettre une indiscrétion en vous disant
que le philosophe auquel il destinait la dédicace de
ses lettres était son ancien et illustre condisciple,
M. Saint-Marc Girardin. Malheureusement pour le pu-
blic et pour sa réputation, quand M. Gibon n'eut
plus l'excitation de la présence d'un auditeur dévoué, il
abandonna son œuvre, ainsi que je l'appris depuis, et
je crains bien que ses enfants n'aient trouvé dans ses
papiers que les traces de cet ouvrage.
» Après un séjour assez prolongé à Rome, il me fallut
non sans regrets quitter cette douce intimité, sans
savoir si elle pourrait jamais se renouveler. La Provi-
dence nous ménageait une réunion plus prochaine que
je ne le supposais, mais qui devait hélas! être la der-
nière.
» Dans le commencement de septembre 1862, je reçus
de M. Gibon une lettre datée de Bourges, lettre dans
laquelle il me faisait de longs adieux, attendu qu'à la
fin de ce même mois il s'embarquait pour aller
prendre possession de sa paroisse de l'isthme. Je lui
répondis par le retour du courrier que nos adieux ne
seraient pas si longs qu'il le supposait, que moi-même
je partais pour l'Egypte à la fin du mois avec quel-
ques amis, et que probablement nous ferions route en-
semble. En effet nous nous retrouvâmes à Marseille,
je n'ai pas besoin de vous dire avec quel plaisir, et
fimes ensemble la traversée de ce port à Alexandrie.
D La détermination de mon ami re m'avait pas
beaucoup surpris. Sa position à Saint-Louis des Fran-
çais n'était que provisoira et ne lui allait que médio-
crement. Habitué à professer, et par conséquent à
m mander, la soumission à une règle fixe, à un su-
périeur, ne lui allait pas. Sa santé profondément altérée
depuis sa maladie de Varsovie, exigeait le grand air et
le mouvement extérieur. L'indépendance d'une mission
où il était seul et destiné à devenir chef lui convenait
infiniment mieux, et j'espérais que l'air sec et sain du
désert pourrait rétablir ses poumons, ou du moins
prolonger son existence.
D Nous nous quittâmes à Alexandrie pour nous re-
trouver au village du Seuil, où il commençait son ins-
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de Suez excite l'enthousiasme des esprits les plus
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