Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1864-06-15
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4673 Nombre total de vues : 4673
Description : 15 juin 1864 15 juin 1864
Description : 1864/06/15 (A9,N192). 1864/06/15 (A9,N192).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6203323n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 21/05/2012
274 L'ISTHME DE SUEZ,
en gants blancs, tandis que Chalouf présente encore dans
toute son originalité l'image de la vie au désert. On y
campe sous des tentes spacieuses et confortables, solidement
assujetties contre le vent; des baraques s'élèvent de toutes
parts pour les remplacer dès qu'arriveront de France les
portes et les fenêtres qui les rendront habitables. Les cha-
meaux et les dromadaires en rangées sur deux lignes, ac-
croupis et les jambes entravées, savourent leur ration avec
un mouvement de lèvres voluptueux; nous traversons le
village arabe, amas de huttes où les indigènes et les Euro-
péens trouvent à se procurer les principales nécessités de
la vie. Par une porte entr'ouverte j'aperçois les danseuses
qui, par leurs danses ou plutôt par leurs poses rhythmécs
et sensuelles, animent le soir un assez misérable café arabe ;
puis tout à coup, nous découvrons à nos pieds une énorme
tranchée où s'agitent comme une fourmilière humaine, sur
un espace de quelques mètres, plus de huit mille travail-
leurs. Les uns, armés de la pioche, creusent le sable et en
remplissent les couffins que les autres vont décharger sur
la berge. C'est un spectacle grandiose; tout se fait dans
l'ordre le plus parfait et les cheiks et les cawas armés de la
courbache, qui circulent dans les groupes, n'ont que peu à
faire pour y entretenir l'activité. Les hommes sont vigou-
reux , presque nus ; la plupart viennent de la basse Égypte
et des environs du Caire; chaque contingent est désigné
par le lieu de sa provenance, et je reconnais les noms des
villages que j'ai traversés dans ma visite aux Pyramides.
» On a beaucoup discuté en France sur le travail forcé;
certains journaux, prenant en mains la cause de l'hu-
manité, l'ont peint des couleurs les plus noires, et ont fait
croire à des masses d'hommes violemment arrachés de leurs
foyers, travaillant sous le fouet et rentrant, quand leur
tâche est finie, affaiblis et appauvris. La Compagnie, au con-
traire, a dans quelques-unes de ses publications décrit leur
sort comme digne d'envie, et présenté le riant tableau d'un
chantier animé par les chants les plus gais. j'avoue que je
n'ai pas entendu chanter à Chalouf, et je 1 d regrette peu,
car je n'aime pas beaucoup les chants monotones des
Arabes ; mais je n'ai rien vu non plus qui ait excité ma
pitié; quiconque a habité l'Egypte et surtout y à eu des in-
térêts qui l'ont amené à s'enquérir des conditions du tra-
vail, trouve que tout se passe dans l'isthme aussi bien et
même mieux que partout ailleurs. Le fellah est souvent
requis de la sorte; le gouvernement, j'en ai eu plusieurs
preuves, ne lui épargne pas les corvées, et je doute qu'il en
soit aucune dont on le laisse s'acquitter aussi doucement
que sur les travaux de la Compagnie.
» Les contingents sont amenés dans de vastes cha-
lands ou par le chemin de fer. Leur garde-robe se com-
pose de ce qu'ils ont sur le dos; leurs vivres sont contenus
dans un sac qu'ils portent avec eux; ils sont habitués à
dormir en plein air ou sous le moindre abri, et leur so-
briété est proverbiale. Ils n'éprouvent donc de ce fait au-
cune privation. On m'a partout assuré que les mesures
étaient prises de façon à réduire autant que possible la
durée du trajet. Le temps qu'ils perdent ainsi, surtout
quand ils viennent de loin, est en effet la question la plus
grave, et ce serait une inhumanité véritable de le prolon-
ger inutilement.
» Une fois arrives sur le chantier, les hommes sont
répartis par brigades sous la surveillance de leurs propres
cheiks, et la tâche leur est assignée ; elle est de 30 mètres
cubes par homme et calculée pour un mois environ, mais
ils sont libres dès qu'elle est terminée. On leur remet les
outils et les couffins avec lesquels ils transportent les dé-
blais; ces couffins sont des paniers peu profonds, d'environ
50 centimètres d'ouverture, qu'ils portent sur le dos à
l'aide de deux poignées, et qui leur constituent chaque fois
une charge fort légère. On les fabrique dans la haute Egypte,
et ils sont pour la Compagnie une source de dépense consi-
dérable. Ils reviennent à 50 centimes, et chaque homme
en use trois ou quatre pendant la durée de sa tâche. Sou-
vent même les ouvriers les coupent avec leurs pioches par
un amour de destruction dont je ne me suis pas rendu bien
compte. Cela leur vaut quelques coups de courbache, sur-
tout s'il y a sur les travaux un bey ou tout autre représen-
tant de l'autorité turque.
» Les Français se décident difficilement à ordonner une
correction corporelle, et du reste je dois dire que ceux qui
la reçoivent y sont assez peu sensibles. Au moment même
où ils s'étendent par terre en présentant au cawas la par-
tie la plus charnue de leur individu, ils implorent sa
pitié par des invocations sans doute fort solennelles, mais
assez singulières, telles que par la barbe de ton grand père;
leurs invocations suivent régulièrement le mouvement de la
courbache, puis après dix ou quinze coups, ils se relèvent
et s'en vont assez allègres. Ils se doutent de ce qui les at-
tend, et j'en ai vu beaucoup porter par derrière, nouée au-
tour de la ceinture, une sorte de cuirasse en grosse toile
qui doit singulièrement amortir les coups. La douleur
est donc peu de chose; mais si l'on se place au point de
vue européen, ces sortes de châtiments ont quelque chose
qui répugne, et il serait à désirer qu'on pût les abolir dé-
finitivement.
» Malheureusement, tant qu'il y aura des Turcs en
Egypte, la courbache sera le seul moyen de répression
que comprendront les représentants du pouvoir. Si vous
portez plainte au Caire et même à Alexandrie contre un
domestique, la police lui administré le fouet ; si un soldat
se met dans le cas d'être réprimandé, c'est la courbache
qui se charge de la leçon ; le jour même de mon arrivée
en Egypte, en visitant notre usine, à la construction de
laquelle travaillent fort librement, et payés comme en
France, des ouvriers indigènes, j'ai vu leurs surveillants,
des Arabes eux-mêmes, les stimuler le fouet en main, et
j'ai exprimé au contre-maître ma surprise assez naturelle ;
huit jours après, j'ai honte de l'avouer, je ne sais si je
m'en serais aperçu.
» Pour en revenir aux contingents, les traitements dont
ils sont l'objet de la part de la Compagnie sont, en somme,
très-bons, et je crois que tout reproche à ce sujet serait
mal fondé. Quant à leur salaire, si souvent discuté, le ha-
sard en me faisant assister à une paye, m'a montré l'exac-
titude des assertions de la Compagnie. Je n'ai pas la pré-
tention de dire s'il est suffisant ou s'il ne l'est pas ; il
faudrait connaître mieux que je ne le fais la condition du
paysan arabe occupé à l'agriculture dans son village ; j'ai
tout lieu de croire que depuis que la culture du coton a
pris une extension énorme et pourtant toujours au-dessous
des besoins de la consommation, la valeur du travail a dù
en gants blancs, tandis que Chalouf présente encore dans
toute son originalité l'image de la vie au désert. On y
campe sous des tentes spacieuses et confortables, solidement
assujetties contre le vent; des baraques s'élèvent de toutes
parts pour les remplacer dès qu'arriveront de France les
portes et les fenêtres qui les rendront habitables. Les cha-
meaux et les dromadaires en rangées sur deux lignes, ac-
croupis et les jambes entravées, savourent leur ration avec
un mouvement de lèvres voluptueux; nous traversons le
village arabe, amas de huttes où les indigènes et les Euro-
péens trouvent à se procurer les principales nécessités de
la vie. Par une porte entr'ouverte j'aperçois les danseuses
qui, par leurs danses ou plutôt par leurs poses rhythmécs
et sensuelles, animent le soir un assez misérable café arabe ;
puis tout à coup, nous découvrons à nos pieds une énorme
tranchée où s'agitent comme une fourmilière humaine, sur
un espace de quelques mètres, plus de huit mille travail-
leurs. Les uns, armés de la pioche, creusent le sable et en
remplissent les couffins que les autres vont décharger sur
la berge. C'est un spectacle grandiose; tout se fait dans
l'ordre le plus parfait et les cheiks et les cawas armés de la
courbache, qui circulent dans les groupes, n'ont que peu à
faire pour y entretenir l'activité. Les hommes sont vigou-
reux , presque nus ; la plupart viennent de la basse Égypte
et des environs du Caire; chaque contingent est désigné
par le lieu de sa provenance, et je reconnais les noms des
villages que j'ai traversés dans ma visite aux Pyramides.
» On a beaucoup discuté en France sur le travail forcé;
certains journaux, prenant en mains la cause de l'hu-
manité, l'ont peint des couleurs les plus noires, et ont fait
croire à des masses d'hommes violemment arrachés de leurs
foyers, travaillant sous le fouet et rentrant, quand leur
tâche est finie, affaiblis et appauvris. La Compagnie, au con-
traire, a dans quelques-unes de ses publications décrit leur
sort comme digne d'envie, et présenté le riant tableau d'un
chantier animé par les chants les plus gais. j'avoue que je
n'ai pas entendu chanter à Chalouf, et je 1 d regrette peu,
car je n'aime pas beaucoup les chants monotones des
Arabes ; mais je n'ai rien vu non plus qui ait excité ma
pitié; quiconque a habité l'Egypte et surtout y à eu des in-
térêts qui l'ont amené à s'enquérir des conditions du tra-
vail, trouve que tout se passe dans l'isthme aussi bien et
même mieux que partout ailleurs. Le fellah est souvent
requis de la sorte; le gouvernement, j'en ai eu plusieurs
preuves, ne lui épargne pas les corvées, et je doute qu'il en
soit aucune dont on le laisse s'acquitter aussi doucement
que sur les travaux de la Compagnie.
» Les contingents sont amenés dans de vastes cha-
lands ou par le chemin de fer. Leur garde-robe se com-
pose de ce qu'ils ont sur le dos; leurs vivres sont contenus
dans un sac qu'ils portent avec eux; ils sont habitués à
dormir en plein air ou sous le moindre abri, et leur so-
briété est proverbiale. Ils n'éprouvent donc de ce fait au-
cune privation. On m'a partout assuré que les mesures
étaient prises de façon à réduire autant que possible la
durée du trajet. Le temps qu'ils perdent ainsi, surtout
quand ils viennent de loin, est en effet la question la plus
grave, et ce serait une inhumanité véritable de le prolon-
ger inutilement.
» Une fois arrives sur le chantier, les hommes sont
répartis par brigades sous la surveillance de leurs propres
cheiks, et la tâche leur est assignée ; elle est de 30 mètres
cubes par homme et calculée pour un mois environ, mais
ils sont libres dès qu'elle est terminée. On leur remet les
outils et les couffins avec lesquels ils transportent les dé-
blais; ces couffins sont des paniers peu profonds, d'environ
50 centimètres d'ouverture, qu'ils portent sur le dos à
l'aide de deux poignées, et qui leur constituent chaque fois
une charge fort légère. On les fabrique dans la haute Egypte,
et ils sont pour la Compagnie une source de dépense consi-
dérable. Ils reviennent à 50 centimes, et chaque homme
en use trois ou quatre pendant la durée de sa tâche. Sou-
vent même les ouvriers les coupent avec leurs pioches par
un amour de destruction dont je ne me suis pas rendu bien
compte. Cela leur vaut quelques coups de courbache, sur-
tout s'il y a sur les travaux un bey ou tout autre représen-
tant de l'autorité turque.
» Les Français se décident difficilement à ordonner une
correction corporelle, et du reste je dois dire que ceux qui
la reçoivent y sont assez peu sensibles. Au moment même
où ils s'étendent par terre en présentant au cawas la par-
tie la plus charnue de leur individu, ils implorent sa
pitié par des invocations sans doute fort solennelles, mais
assez singulières, telles que par la barbe de ton grand père;
leurs invocations suivent régulièrement le mouvement de la
courbache, puis après dix ou quinze coups, ils se relèvent
et s'en vont assez allègres. Ils se doutent de ce qui les at-
tend, et j'en ai vu beaucoup porter par derrière, nouée au-
tour de la ceinture, une sorte de cuirasse en grosse toile
qui doit singulièrement amortir les coups. La douleur
est donc peu de chose; mais si l'on se place au point de
vue européen, ces sortes de châtiments ont quelque chose
qui répugne, et il serait à désirer qu'on pût les abolir dé-
finitivement.
» Malheureusement, tant qu'il y aura des Turcs en
Egypte, la courbache sera le seul moyen de répression
que comprendront les représentants du pouvoir. Si vous
portez plainte au Caire et même à Alexandrie contre un
domestique, la police lui administré le fouet ; si un soldat
se met dans le cas d'être réprimandé, c'est la courbache
qui se charge de la leçon ; le jour même de mon arrivée
en Egypte, en visitant notre usine, à la construction de
laquelle travaillent fort librement, et payés comme en
France, des ouvriers indigènes, j'ai vu leurs surveillants,
des Arabes eux-mêmes, les stimuler le fouet en main, et
j'ai exprimé au contre-maître ma surprise assez naturelle ;
huit jours après, j'ai honte de l'avouer, je ne sais si je
m'en serais aperçu.
» Pour en revenir aux contingents, les traitements dont
ils sont l'objet de la part de la Compagnie sont, en somme,
très-bons, et je crois que tout reproche à ce sujet serait
mal fondé. Quant à leur salaire, si souvent discuté, le ha-
sard en me faisant assister à une paye, m'a montré l'exac-
titude des assertions de la Compagnie. Je n'ai pas la pré-
tention de dire s'il est suffisant ou s'il ne l'est pas ; il
faudrait connaître mieux que je ne le fais la condition du
paysan arabe occupé à l'agriculture dans son village ; j'ai
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