Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1864-06-01
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 01 juin 1864 01 juin 1864
Description : 1864/06/01 (A9,N191). 1864/06/01 (A9,N191).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k62033227
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 21/05/2012
252
L'ISTHME DE SUEZ,
frémissant ? Un jeune homme de vingt ans à peine qui
se nommait Palmerston.
à Les contemporains de cette époque se sont éclipsés,
les acteurs de ce drame grandiose sont, en grande par-
tie, passés dans le domaine de l'histoire; mais le pu-
bliciste anti-gaulois (semi-gallo) de 1804 vit encore.
Depuis ces soixante années, il a souvent été ministre,
et la fortune l'a placé bien haut. La guerre faite à Na-
poléon valait à sa nation une position élevée ; la part
qu'elle sut prendre dans la grande spoliation fut telle
que pendant toute une génération l'Angleterre fut, ou
crut être, l'arbitre des destinées de l'Europe. Cette pré-
pondérance est tombée, dit-on; ce qui est pis, c'est
qu'elle devait tomber 1
» Palmerston, qui jugeait des efforts tentés pour faire
converger les forces de toutes les nations contre Napo-
léon, pensa qu'ils devaient tourner tout spécialement à
l'avantage de l'Angleterre, et se persuada facilement
que c'était là une voie à suivre.
» L'intérêt anglais, exclusivement, uniquement et toujours,
telle fut sa devise, telle est la maxime qu'il suit depuis
soixante ans. Droits, profits, avantages des autres na-
tions, cela n'existe pas à ses yeux, en tant qu'il n'y
juge pas un rapport avec les intérêts anglais.
» Retenez ce principe, et vous aurez la clef de l'é-
nigme, l'explication de ses subites et fréquentes évolu-
tions, des changements de sa politique et de ses atti-
tudes. Il n'est pas de nation en Europe dont il n'ait été
l'ami et l'ennemi; pas d'aspirations politiques qu'il n'ait
favorisées et combattues, sans s'inquiéter jamais de ce
qui peut en être dit.
» L'Italie a été quatre ou cinq fois son amie et six ou
sept fois son ennemie. Comme il traite de la politique,
il traite des hommes : ils n'existent pour lui que comme
des instruments dont doivent se servir les fiers An-
glais : intrinsèquement, les hommes n'ont aucune va-
leur qui leur soit propre. Garibaldi et Mazzini sont
égaux à ses yeux. Lorsque tant de personnes honnêtes
trouvent qu'un profond abîme sépare ces deux hommes,
lui, il n'y arrête même pas sa pensée; la sentence du
tribunal de Paris contre le fameux chef de secte, n'est
qu'une « affaire de police française. » C'est un « calom-
nié qui s'abritera sous la grande aile de l'Angleterre. »
Quelqu'un fronce-t-il les sourcils ? Il sera déclaré dans
un dîner, où s'asseoit un sténographe pour recueillir le
discours de Sa Seigneurie, que Napoléon III a fait beaucoup
de belles choses, qu'il est l'allié naturel de l'Angleterre;
et tout est arrangé.
» S'il croit, cependant, avoir été trop loin, le lende-
main, dans un nouveau dîner, il déclarera que l'Angle-
terre ne craint personne au monde! et la foule d'applaudir.
Un écoutez! écoutez 1 et un bravo 1 bravo 1 feront connaître
à l'Angleterre que Palmerston n'a pas peur de Napo-
léon.
» Palmerston a ses idées fixes, et songez quels effets
elles doivent produire dans l'esprit d'un tel homme 1
» Le malheureux canal de Suez est la première de ces
idées fixes.
» Nous croyons que cette antipathie date de 1798; c'est
assurément une des plus vieilles antipathies. Elle date
de l'époque où Napoléon Bonaparte voulait battre l'An-
gleterre aux Indes et fit étudier la possibilité d'une
communication par eau entre la mer Méditerranée et
la mer Rouge. L'expérience prouve aujourd'hui sur-
abondamment la possibilité d'exécution de cette œuvre
grande et heureuse, alors déclarée difficilement réali-
sable; mais la crainte qu'inspirait aux Anglais tout ce
qui venait de cet ennemi, leur fit croire la chose pos-
sible, et ils occupèrent en 1799 l'île de Périm. Dans l'es-
prit de Palmerston, alors jeune, mais plein d'ardeur, la
communication entre les deux mers marquait la ruine
de l'Angleterre. Le projet fut enseveli ; on chanta le
Requiescat in pace.
» Pendant cinquante ans dort, paisible dans les car-
tons, le projet napoléonien ; il n'en est plus parlé que
comme un reflet de victoire, lorsque, un beau jour, l'i-
dée se vivifie et trouve en face d'elle son puissant en-
sevelisseur, devenu le chet de la nation, qui lui fait la
guerre.
» La nation a beaucoup progressé ; les neuf dixièmes
des fils ignorent l'aversion de leurs pères pour la com-
munication des deux mers; ils savent que dans l'Inde
ils ont un plus grand intérêt que tous les autres peuples
ensemble, et qu'y arriver vite et sûrement est le prin-
cipal avantage. L'idée est favorablement accueillie; elle
devient populaire. La haine semi-séculaire de Palmers-
ton se ravive, devient plus intense, tourne à la fureur
et se transforme en idée fixe. « Le canal n'est pas pos-
sible il ne peut être possible ! il ne doit pas être pos-
sible ! » Devant tant de convictions, en face d'une œuvre
française qui pourrait bien avoir la sympathie d'un
nouveau Napoléon, Palmerston se décide à soutenir l'im-
possibilité, tandis qu'il agit dans le sens du possible et
fait occuper de nouveau l'ile de Périm, abandonnée en
1802, criant dans tous les journaux, dans tous les ban-
quets et dans les chambres, contre la prépondérance des
Français. L'idée du canal prend corps sous la forme de
Lesseps, le vice-roi en autorise l'exécution, signe un
contrat formel, et le rêve devient réalité.
» Tout le monde sait quelle lutte herculéenne s'est
imposée Palmerston sous le masque de sa tendresse pour
la Turquie, puis pour le vice-roi d'Egypte, et enfin
pour les pauvres fellahs condamnés au travail forcé ;
mais tous ne peuvent savoir jusqu'où peut conduire
l'aveuglement d'une passion qui a soixante ans de
date. La dernière interpellation au Parlement anglais
nous prouve que tout est le résultat d'un phénomène ;
aussi désormais tout pourra s'expliquer en quelques
mots : Que voulez-vous? c'est un phénomène dû à la pas-
sion.
» Sur les sables arides qui séparent les lagunes du lac
Menzaleh de la Méditerranée, s'est élevée, depuis cinq
ans, une ville qui a nom Port-Saïd, entrée du canal de
Suez dans la Méditerranée. Cinq mille habitants y vi-
vent ; des centaines de bâtiments y viennent, dont on
publie régulièrement le tonnage, la nationalité et
le chargement. Parlez-en à Palmerston : il vous répon-
dra que tout cela est un rêve, aucun bâtiment ne
L'ISTHME DE SUEZ,
frémissant ? Un jeune homme de vingt ans à peine qui
se nommait Palmerston.
à Les contemporains de cette époque se sont éclipsés,
les acteurs de ce drame grandiose sont, en grande par-
tie, passés dans le domaine de l'histoire; mais le pu-
bliciste anti-gaulois (semi-gallo) de 1804 vit encore.
Depuis ces soixante années, il a souvent été ministre,
et la fortune l'a placé bien haut. La guerre faite à Na-
poléon valait à sa nation une position élevée ; la part
qu'elle sut prendre dans la grande spoliation fut telle
que pendant toute une génération l'Angleterre fut, ou
crut être, l'arbitre des destinées de l'Europe. Cette pré-
pondérance est tombée, dit-on; ce qui est pis, c'est
qu'elle devait tomber 1
» Palmerston, qui jugeait des efforts tentés pour faire
converger les forces de toutes les nations contre Napo-
léon, pensa qu'ils devaient tourner tout spécialement à
l'avantage de l'Angleterre, et se persuada facilement
que c'était là une voie à suivre.
» L'intérêt anglais, exclusivement, uniquement et toujours,
telle fut sa devise, telle est la maxime qu'il suit depuis
soixante ans. Droits, profits, avantages des autres na-
tions, cela n'existe pas à ses yeux, en tant qu'il n'y
juge pas un rapport avec les intérêts anglais.
» Retenez ce principe, et vous aurez la clef de l'é-
nigme, l'explication de ses subites et fréquentes évolu-
tions, des changements de sa politique et de ses atti-
tudes. Il n'est pas de nation en Europe dont il n'ait été
l'ami et l'ennemi; pas d'aspirations politiques qu'il n'ait
favorisées et combattues, sans s'inquiéter jamais de ce
qui peut en être dit.
» L'Italie a été quatre ou cinq fois son amie et six ou
sept fois son ennemie. Comme il traite de la politique,
il traite des hommes : ils n'existent pour lui que comme
des instruments dont doivent se servir les fiers An-
glais : intrinsèquement, les hommes n'ont aucune va-
leur qui leur soit propre. Garibaldi et Mazzini sont
égaux à ses yeux. Lorsque tant de personnes honnêtes
trouvent qu'un profond abîme sépare ces deux hommes,
lui, il n'y arrête même pas sa pensée; la sentence du
tribunal de Paris contre le fameux chef de secte, n'est
qu'une « affaire de police française. » C'est un « calom-
nié qui s'abritera sous la grande aile de l'Angleterre. »
Quelqu'un fronce-t-il les sourcils ? Il sera déclaré dans
un dîner, où s'asseoit un sténographe pour recueillir le
discours de Sa Seigneurie, que Napoléon III a fait beaucoup
de belles choses, qu'il est l'allié naturel de l'Angleterre;
et tout est arrangé.
» S'il croit, cependant, avoir été trop loin, le lende-
main, dans un nouveau dîner, il déclarera que l'Angle-
terre ne craint personne au monde! et la foule d'applaudir.
Un écoutez! écoutez 1 et un bravo 1 bravo 1 feront connaître
à l'Angleterre que Palmerston n'a pas peur de Napo-
léon.
» Palmerston a ses idées fixes, et songez quels effets
elles doivent produire dans l'esprit d'un tel homme 1
» Le malheureux canal de Suez est la première de ces
idées fixes.
» Nous croyons que cette antipathie date de 1798; c'est
assurément une des plus vieilles antipathies. Elle date
de l'époque où Napoléon Bonaparte voulait battre l'An-
gleterre aux Indes et fit étudier la possibilité d'une
communication par eau entre la mer Méditerranée et
la mer Rouge. L'expérience prouve aujourd'hui sur-
abondamment la possibilité d'exécution de cette œuvre
grande et heureuse, alors déclarée difficilement réali-
sable; mais la crainte qu'inspirait aux Anglais tout ce
qui venait de cet ennemi, leur fit croire la chose pos-
sible, et ils occupèrent en 1799 l'île de Périm. Dans l'es-
prit de Palmerston, alors jeune, mais plein d'ardeur, la
communication entre les deux mers marquait la ruine
de l'Angleterre. Le projet fut enseveli ; on chanta le
Requiescat in pace.
» Pendant cinquante ans dort, paisible dans les car-
tons, le projet napoléonien ; il n'en est plus parlé que
comme un reflet de victoire, lorsque, un beau jour, l'i-
dée se vivifie et trouve en face d'elle son puissant en-
sevelisseur, devenu le chet de la nation, qui lui fait la
guerre.
» La nation a beaucoup progressé ; les neuf dixièmes
des fils ignorent l'aversion de leurs pères pour la com-
munication des deux mers; ils savent que dans l'Inde
ils ont un plus grand intérêt que tous les autres peuples
ensemble, et qu'y arriver vite et sûrement est le prin-
cipal avantage. L'idée est favorablement accueillie; elle
devient populaire. La haine semi-séculaire de Palmers-
ton se ravive, devient plus intense, tourne à la fureur
et se transforme en idée fixe. « Le canal n'est pas pos-
sible il ne peut être possible ! il ne doit pas être pos-
sible ! » Devant tant de convictions, en face d'une œuvre
française qui pourrait bien avoir la sympathie d'un
nouveau Napoléon, Palmerston se décide à soutenir l'im-
possibilité, tandis qu'il agit dans le sens du possible et
fait occuper de nouveau l'ile de Périm, abandonnée en
1802, criant dans tous les journaux, dans tous les ban-
quets et dans les chambres, contre la prépondérance des
Français. L'idée du canal prend corps sous la forme de
Lesseps, le vice-roi en autorise l'exécution, signe un
contrat formel, et le rêve devient réalité.
» Tout le monde sait quelle lutte herculéenne s'est
imposée Palmerston sous le masque de sa tendresse pour
la Turquie, puis pour le vice-roi d'Egypte, et enfin
pour les pauvres fellahs condamnés au travail forcé ;
mais tous ne peuvent savoir jusqu'où peut conduire
l'aveuglement d'une passion qui a soixante ans de
date. La dernière interpellation au Parlement anglais
nous prouve que tout est le résultat d'un phénomène ;
aussi désormais tout pourra s'expliquer en quelques
mots : Que voulez-vous? c'est un phénomène dû à la pas-
sion.
» Sur les sables arides qui séparent les lagunes du lac
Menzaleh de la Méditerranée, s'est élevée, depuis cinq
ans, une ville qui a nom Port-Saïd, entrée du canal de
Suez dans la Méditerranée. Cinq mille habitants y vi-
vent ; des centaines de bâtiments y viennent, dont on
publie régulièrement le tonnage, la nationalité et
le chargement. Parlez-en à Palmerston : il vous répon-
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