Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1862-02-15
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 15 février 1862 15 février 1862
Description : 1862/02/15 (A7,N136). 1862/02/15 (A7,N136).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6203290q
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/06/2012
62 L'ISTHME DE SUEZ,
portugaise Amizade vient d'entrer dans notre rade
avec un chargement de colons d'Oporto, de San-
Miguel et de Fayal. On trouve parmi les colons
des laboureurs, des garçons de peine, des jardiniers,
des ouvriers de tous les états, ainsi que des nour-
rices, des cuisinières et des femmes de chambre.
Avis à ceux qui veulent des feitores (commandeurs,
gérants) -et des serviteurs libres ; le capitaine de
l'Amizade en amène un assortiment complet qu'il
livrera à des prix raisonnables. La barque a jeté
l'ancre à la pointe de l'île das Cobres. »
Cette nouvelle se répand aussitôt dans la ville, et
ceux qu'elle intéresse se dirigent aussitôt vers l'île
des Couleuvres.
Guidés par le senhor Barboza, ma femme et moi,
nous prîmes un canot, et nous nageâmes du côté de
la barque portugaise.
Le pont était couvert d'une population nombreuse :
femmes allaitant leurs nourrissons, jeunes filles sou-
riantes, hommes sur le retour, garçons vigoureux,
enfants turbulents et effrontés, se pressaient sur la
rampe du navire, pour mieux attirer les regards.
Une fois l'échelle franchie, nous nous vîmes entourés,
serrés et assaillis de demandes formulées sur tous
les tons. Avions-nous besoin d'un feitor, d'un cuisi-
nier, d'un mucama, d'une repasseuse ? Tout cela se
trouvait en grande quantité sur l'Amizade; mais
chacun demandait pour soi la préférence. Pendant que
le senhor Barboza, plus au fait que nous des mœurs
de ses patricios (compatriotes), répondait à toutes ces
voix empressées, et qu'il cherchait à se frayer un
passage jusqu'à la cabine du capitaine, je restai un
peu en arrière, afin de mieux jouir du coup d'œil.
Le tableau était piquant, en vérité.
Un faux pont avait été établi sur toute la longueur
de la barque; coupé en deux par une mince cloison
mobile, il représentait deux vastes salles affectées
au logement des deux sexes. Quel pandémonium!
Là se trouvaient entassés des corps, des malles, des
ballots, des bouteilles, des instruments de musique,
des colifichets, des cages d'oiseaux, tout l'attirail de
la misère, hélas ! et cela dans un désordre affreux,
au milieu d'une malpropreté inouïe. Aussi s'exhalait-
il de ce réduit une odeur nauséabonde qui vous pre-
nait aussitôt à la gorge. Je vis ma femme approcher
de son nez son flacon de sels qui, heureusement, ne
la: quittait jamais depuis notre arrivée dans ce beau
pays. Moi, je n'avais pas de flacon; je tins bon pour-
tant, car je voulais obtenir de ma visite tout le ré-
sultat qu'elle pouvait produire. Isolé de ma femme
et dé notre guide, je devins plus particulièrement
le but des obsessions d'une catégorie de passagers.
Deux mots d'explication sont ici nécessaires.
Il est d'usage, au Brésil, que les garçons riches
ou aisés, de simples employés quelquefois, que l'iso-
lement ennuie, viennent chercher, parmi les colons
nouvellement arrivés, une jeune et jolie compagne
qui consente à diriger leur petit ménage et à char-
mer en même temps leur existence monotone. Ainsi
font les Turcs lorsqu'ils visitent l'Avret-Bazar à
Constantinople. Mes regards curieux, qui scrutaient
tous les coins de la barque, donnèrent le change sur
mes intentions; je me vis aussitôt entouré par un
essaim de folâtres passagères, qui toutes me saluè-
rent de la main et du sourire, en parlant toutes à la
fois: on me mettait en état de siège. J'ignore com-
ment elles reconnurent ma nationalité, à moins qu'un
Français ne porte la sienne écrite sur sa figure.
Quoi qu'il en soit, avant même que j'eusse ouvert la
bouche, l'une me vanta ses connaissances en cui-
sine française, l'autre était experte en couture ; elle
se flattait de confectionner une chemise aussi bien
qu'une ouvrière de Paris ; une troisième me présenta
un canevas auquel elle travaillait, en m'assurant
qu'elle me broderait des manchettes et des pantou-
fles dignes d'un ambassadeur; une autre encore se
donna pour une excellente repasseuse. C'était à qui
ferait un plus savant étalage de ses talents et de ses
grâces ; chacune, du reste, prenant la Vierge à té-
moin qu'elle avait un caractère parfait, et que je
serais bien inspiré en la choisissant.
Je restai un moment ahuri, on le comprend, par
toutes ces voix discordantes qu'accompagnaient des
gestes expressifs et une pantomime des plus animées.
Je me remis peu à peu cependant, et, après quel-
ques réponses évasives, je parvins, non sans peine,
à percer la triple ligne de circonvallation établie
autour de ma personne; j'avisai alors contre les bas-
tingages de tribord deux jeunes et belles créatures
qui se moquaient entre elles, je crus le deviner du
moins , du désappointement de leurs compagnes.
L'une, - une petite brune à l'oeil vif, agaçant, ef-
fronté, — à peine couverte d'un peignoir en percale,
ouvert par devant, mais déchiré à la taille, les bras
nus jusqu'aux épaules, chantait la Giralda en s'ac-
compagnant sur la guitare; l'autre, une grande
fille élancée dont les yeux bleus étaient remplis de
langueur, étalait avec complaisance 'une opulente
chevelure noire qui l'enveloppait comme un manteau
royal et qu'elle était en train de démêler. Ce sans-
gêne n'a rien d'extraordinaire sous les tropiques, et
même en Europe, dans les pays méridionaux, où les
femmes^du peuple ont l'habitude de faire leur toilette
devant la porte de leur maison. Les deux moças
étaient renversées dans une pose nonchalante et gra-
cieuse; au premier coup d'œil je devinai leur posi-
tion sociale : il est tel regard velouté, tel geste ar-
rondi, telles manières mignardes qui en disent plus
long qu'un rapport de police à celui qui, pendant
bon nombre d'années, a fumé des cigares sur le bou-
levard des Italiens. Je reconnus donc l'hétaire des
Açores.
portugaise Amizade vient d'entrer dans notre rade
avec un chargement de colons d'Oporto, de San-
Miguel et de Fayal. On trouve parmi les colons
des laboureurs, des garçons de peine, des jardiniers,
des ouvriers de tous les états, ainsi que des nour-
rices, des cuisinières et des femmes de chambre.
Avis à ceux qui veulent des feitores (commandeurs,
gérants) -et des serviteurs libres ; le capitaine de
l'Amizade en amène un assortiment complet qu'il
livrera à des prix raisonnables. La barque a jeté
l'ancre à la pointe de l'île das Cobres. »
Cette nouvelle se répand aussitôt dans la ville, et
ceux qu'elle intéresse se dirigent aussitôt vers l'île
des Couleuvres.
Guidés par le senhor Barboza, ma femme et moi,
nous prîmes un canot, et nous nageâmes du côté de
la barque portugaise.
Le pont était couvert d'une population nombreuse :
femmes allaitant leurs nourrissons, jeunes filles sou-
riantes, hommes sur le retour, garçons vigoureux,
enfants turbulents et effrontés, se pressaient sur la
rampe du navire, pour mieux attirer les regards.
Une fois l'échelle franchie, nous nous vîmes entourés,
serrés et assaillis de demandes formulées sur tous
les tons. Avions-nous besoin d'un feitor, d'un cuisi-
nier, d'un mucama, d'une repasseuse ? Tout cela se
trouvait en grande quantité sur l'Amizade; mais
chacun demandait pour soi la préférence. Pendant que
le senhor Barboza, plus au fait que nous des mœurs
de ses patricios (compatriotes), répondait à toutes ces
voix empressées, et qu'il cherchait à se frayer un
passage jusqu'à la cabine du capitaine, je restai un
peu en arrière, afin de mieux jouir du coup d'œil.
Le tableau était piquant, en vérité.
Un faux pont avait été établi sur toute la longueur
de la barque; coupé en deux par une mince cloison
mobile, il représentait deux vastes salles affectées
au logement des deux sexes. Quel pandémonium!
Là se trouvaient entassés des corps, des malles, des
ballots, des bouteilles, des instruments de musique,
des colifichets, des cages d'oiseaux, tout l'attirail de
la misère, hélas ! et cela dans un désordre affreux,
au milieu d'une malpropreté inouïe. Aussi s'exhalait-
il de ce réduit une odeur nauséabonde qui vous pre-
nait aussitôt à la gorge. Je vis ma femme approcher
de son nez son flacon de sels qui, heureusement, ne
la: quittait jamais depuis notre arrivée dans ce beau
pays. Moi, je n'avais pas de flacon; je tins bon pour-
tant, car je voulais obtenir de ma visite tout le ré-
sultat qu'elle pouvait produire. Isolé de ma femme
et dé notre guide, je devins plus particulièrement
le but des obsessions d'une catégorie de passagers.
Deux mots d'explication sont ici nécessaires.
Il est d'usage, au Brésil, que les garçons riches
ou aisés, de simples employés quelquefois, que l'iso-
lement ennuie, viennent chercher, parmi les colons
nouvellement arrivés, une jeune et jolie compagne
qui consente à diriger leur petit ménage et à char-
mer en même temps leur existence monotone. Ainsi
font les Turcs lorsqu'ils visitent l'Avret-Bazar à
Constantinople. Mes regards curieux, qui scrutaient
tous les coins de la barque, donnèrent le change sur
mes intentions; je me vis aussitôt entouré par un
essaim de folâtres passagères, qui toutes me saluè-
rent de la main et du sourire, en parlant toutes à la
fois: on me mettait en état de siège. J'ignore com-
ment elles reconnurent ma nationalité, à moins qu'un
Français ne porte la sienne écrite sur sa figure.
Quoi qu'il en soit, avant même que j'eusse ouvert la
bouche, l'une me vanta ses connaissances en cui-
sine française, l'autre était experte en couture ; elle
se flattait de confectionner une chemise aussi bien
qu'une ouvrière de Paris ; une troisième me présenta
un canevas auquel elle travaillait, en m'assurant
qu'elle me broderait des manchettes et des pantou-
fles dignes d'un ambassadeur; une autre encore se
donna pour une excellente repasseuse. C'était à qui
ferait un plus savant étalage de ses talents et de ses
grâces ; chacune, du reste, prenant la Vierge à té-
moin qu'elle avait un caractère parfait, et que je
serais bien inspiré en la choisissant.
Je restai un moment ahuri, on le comprend, par
toutes ces voix discordantes qu'accompagnaient des
gestes expressifs et une pantomime des plus animées.
Je me remis peu à peu cependant, et, après quel-
ques réponses évasives, je parvins, non sans peine,
à percer la triple ligne de circonvallation établie
autour de ma personne; j'avisai alors contre les bas-
tingages de tribord deux jeunes et belles créatures
qui se moquaient entre elles, je crus le deviner du
moins , du désappointement de leurs compagnes.
L'une, - une petite brune à l'oeil vif, agaçant, ef-
fronté, — à peine couverte d'un peignoir en percale,
ouvert par devant, mais déchiré à la taille, les bras
nus jusqu'aux épaules, chantait la Giralda en s'ac-
compagnant sur la guitare; l'autre, une grande
fille élancée dont les yeux bleus étaient remplis de
langueur, étalait avec complaisance 'une opulente
chevelure noire qui l'enveloppait comme un manteau
royal et qu'elle était en train de démêler. Ce sans-
gêne n'a rien d'extraordinaire sous les tropiques, et
même en Europe, dans les pays méridionaux, où les
femmes^du peuple ont l'habitude de faire leur toilette
devant la porte de leur maison. Les deux moças
étaient renversées dans une pose nonchalante et gra-
cieuse; au premier coup d'œil je devinai leur posi-
tion sociale : il est tel regard velouté, tel geste ar-
rondi, telles manières mignardes qui en disent plus
long qu'un rapport de police à celui qui, pendant
bon nombre d'années, a fumé des cigares sur le bou-
levard des Italiens. Je reconnus donc l'hétaire des
Açores.
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