Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1861-03-01
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 4673 Nombre total de vues : 4673
Description : 01 mars 1861 01 mars 1861
Description : 1861/03/01 (A6,N113). 1861/03/01 (A6,N113).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k62032662
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 14/06/2012
80 L'ISTHME DE SUEZ.
et cette déclaration offre [aux familles le moyén d'éta-
blir plus tard, s'il y a lieu, l'état civil de l'individu, en
constatant la date précise de sa mort et l'exactitude de
ses noms, qui doivent être inscrits sur les registres de
radministration.
Donc, le Beïk-el-mol ayant été prévenu , et pendant
qu'on s'occupe au cimetière de creuser la fosse, on pro-
cède dans la maison mortuaire au lavage du corps, qui
est ensuite enveloppé de son linceul et placé bientôt
après sur une sorte de civière, très-haute sur ses pieds,
qui doit servir à transporter le défunt à sa dernière de-
meure. Je vous fais grâce de tous ces tristes détails prélimi-
naires, qui sont d'ailleurs ici les mêmes que dans tout
autre pays musulman. Il va sans dire que s'il s'agit
d'un homme, ce sont aux hommes seuls qu'il appartient.
de rendre ces derniers devoirs, et que si c'est une femme,
ils ne peuvent être rendus également que par des
femmes.
Ce sont les parents, les amis, les serviteurs du mit
qui portent la civière au cimetière, et il n'est pas un
passant dans les rues que traverse le cortége qui ne
veuille venir placer son épaule sous un des brancards,
ne fut-ce que pendant quelques secondes. Ce renouvel-
lement constant des porteurs cause de courts et fré-
quents moments d'arrêt dans la marche, qui d'ailleurs
doit toujours s'effectuer assez rapidement, pour se con-
former à cette parole du prophète : « Marchez vite dans
un convoi funèbre et non pas lentement comme les juifs
et les chrétiens. D — Tout le long du trajet de la
maison mortuaire au cimetière, les porteurs et les per-
sonnes formant le convoi chantent à haute voix cette
première moitié de la profession de foi musulmane : « Il
n'y a de Dieu que Dieu — la illahi ella allah! » — Par-
fois le corps est porté dans l'enceinte d'une mosquée
pour que des prières soient récitées dessus par un imam
avant d'être conduit au cimetière. — Une fois rendu dans
le champ des morts, une courte prière est encore pro-
noncée sur le corps avant qu'on le descende dans la
tombe ; puis, une fois qu'il est couché au fond de sa
dernière demeure, de larges dalles sont placées trans-
versalement à la partie supérieure de la fosse, en s'ap-
puyant sur les deux côtés des parois; chacun des assis-
tants jette dessus une poignée de terre, et les fossoyeurs
achèvent bientôt de recouvrir la tombe.
Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'au moment où le corps
est enlevé de la maison mortuaire, les lamentables cris
qui sont poussés par les femmes depuis l'instant de la
mort, redoublent de force et de lugubre tristesse. On
ne cesse de crier ainsi pendant près de trois jours, et
pendant trois jours aussi, et le soir à la nuit tombante, des
prieurs publics s'assemblent dans la maison et chantent
en chœur de longues prières dans la chambre mortuaire
même, afin que l'âme du défunt en soit tout à fait dé-
tachée et qu'elle ne vienne pas la visiter. — La famille
prend le deuil, les femmes du moins, et pendant ce temps
de tristesse qui dure quarante jours, aucune fête, aucune
joie ne doit venir troubler le recueillement et le cha-
grin de ceux qui pleurent la perte d'un parent aimé et
regretté. Les vêtements aux couleurs éclatantes, les bi-
joux, les parfums et les soins recherchés de la toilette
sont rigoureusement mis de côté, et des distributions'
de pain et d'argent sont faites en aumônes aux pauvres
du quartier. — Le quarantième jour a lieu une dernière
cérémonie religieuse pour le repos de l'âme du trépasse ;
elle est appelée Zeker, et je ne crois pas qu'elle soit ob-
servée dans beaucoup de pays musulmans, du moins
telle qu'elle se pratique ici. — A cet effet, un certain
nombre de prieurs des mosquées et des amis du défunt
se réunissent dans une pièce de la maison mortuaire et
récitent de longs cantiques funèbres, spécialement adap.
tés à la circonstance, sur un rhythme cadencé qui rap-
pelle beaucoup les chants d'église de la liturgie latine.
Les chanteurs formant un cercle et pressés les uns contre
les autres, ont d'ordinaire un imam qui leur sert de
coryphée. Celui-ci chante d'abord chaque vers du can-
tique, et le chœur le répète immédiatement après lui;
puis ce sont des morceaux d'ensemble qui sont, non plus
chantés, mais bien plutôt hurlés par ces individus, se
livrant, en même temps, à d'étranges contorsions du
corps, qui rappellent les cérémonies des derwiches hur-
leurs de la Turquie. Les exercices violents de ces mal-
heureux choristes les mettent bientôt hors d'eux-mêmes,
ils ruissèlent de sueur, leurs yeux deviennent hagards,
la bouche s'emplit d'écume, et souvent même ils tombent
dans un véritable état d'épilepsie. A ces cris, à ces
mouvements désordonnés succède un moment de repos
et de silence, et bientôt un solo triste et monotone, d'une
mélodie plaintive, se fait entendre et ravit l'auditoire
par ses paroles mystiques et religieuses, par son accent
larmoyant qui rappelle les lamentations de Jérémie,
chantées dans les églises d'Italie aux jours de la se-
maine sainte. Ce n'est là qu'un intermède pour donner
aux premiers hurleurs le temps de se reposer un peu et
de reprendre leurs forces; car on ne tarde pas d'enten-
dre de nouveau le chœur des énergumènes qui recom-
mence de plus belle. — Au bout de deux ou trois heures
de cet étrange concert funèbre, on apporte du café à
l'assistance, après quoi on lui sert tout un dîner. Quel-
ques instants après chacun se retire chez lui pour y
retrouver un repos dont il a bravement acquis le droit
de jouir.
Je finis ici cette troisième lettre, en sollicitant pour
elle, comme je l'ai fait pour celles qui l'ont précédée,
votre toute obligeante et aimable indulgence.
A. Roux.
AVIS
HAÏ. les Abonnés dont l'abonnement expire
à la fin de ce mois, sont priés de le renou-
veler pour éviter toute Interruption dans
l'envol de leur journal.
Le Gérant : ERNEST DESPLACES.
l'ARIS. — tMPMMEtUE CENTRALE DE NAVOIJSON CHAIX El C', KUE IIEXIOÈHE, 20.
et cette déclaration offre [aux familles le moyén d'éta-
blir plus tard, s'il y a lieu, l'état civil de l'individu, en
constatant la date précise de sa mort et l'exactitude de
ses noms, qui doivent être inscrits sur les registres de
radministration.
Donc, le Beïk-el-mol ayant été prévenu , et pendant
qu'on s'occupe au cimetière de creuser la fosse, on pro-
cède dans la maison mortuaire au lavage du corps, qui
est ensuite enveloppé de son linceul et placé bientôt
après sur une sorte de civière, très-haute sur ses pieds,
qui doit servir à transporter le défunt à sa dernière de-
meure. Je vous fais grâce de tous ces tristes détails prélimi-
naires, qui sont d'ailleurs ici les mêmes que dans tout
autre pays musulman. Il va sans dire que s'il s'agit
d'un homme, ce sont aux hommes seuls qu'il appartient.
de rendre ces derniers devoirs, et que si c'est une femme,
ils ne peuvent être rendus également que par des
femmes.
Ce sont les parents, les amis, les serviteurs du mit
qui portent la civière au cimetière, et il n'est pas un
passant dans les rues que traverse le cortége qui ne
veuille venir placer son épaule sous un des brancards,
ne fut-ce que pendant quelques secondes. Ce renouvel-
lement constant des porteurs cause de courts et fré-
quents moments d'arrêt dans la marche, qui d'ailleurs
doit toujours s'effectuer assez rapidement, pour se con-
former à cette parole du prophète : « Marchez vite dans
un convoi funèbre et non pas lentement comme les juifs
et les chrétiens. D — Tout le long du trajet de la
maison mortuaire au cimetière, les porteurs et les per-
sonnes formant le convoi chantent à haute voix cette
première moitié de la profession de foi musulmane : « Il
n'y a de Dieu que Dieu — la illahi ella allah! » — Par-
fois le corps est porté dans l'enceinte d'une mosquée
pour que des prières soient récitées dessus par un imam
avant d'être conduit au cimetière. — Une fois rendu dans
le champ des morts, une courte prière est encore pro-
noncée sur le corps avant qu'on le descende dans la
tombe ; puis, une fois qu'il est couché au fond de sa
dernière demeure, de larges dalles sont placées trans-
versalement à la partie supérieure de la fosse, en s'ap-
puyant sur les deux côtés des parois; chacun des assis-
tants jette dessus une poignée de terre, et les fossoyeurs
achèvent bientôt de recouvrir la tombe.
Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'au moment où le corps
est enlevé de la maison mortuaire, les lamentables cris
qui sont poussés par les femmes depuis l'instant de la
mort, redoublent de force et de lugubre tristesse. On
ne cesse de crier ainsi pendant près de trois jours, et
pendant trois jours aussi, et le soir à la nuit tombante, des
prieurs publics s'assemblent dans la maison et chantent
en chœur de longues prières dans la chambre mortuaire
même, afin que l'âme du défunt en soit tout à fait dé-
tachée et qu'elle ne vienne pas la visiter. — La famille
prend le deuil, les femmes du moins, et pendant ce temps
de tristesse qui dure quarante jours, aucune fête, aucune
joie ne doit venir troubler le recueillement et le cha-
grin de ceux qui pleurent la perte d'un parent aimé et
regretté. Les vêtements aux couleurs éclatantes, les bi-
joux, les parfums et les soins recherchés de la toilette
sont rigoureusement mis de côté, et des distributions'
de pain et d'argent sont faites en aumônes aux pauvres
du quartier. — Le quarantième jour a lieu une dernière
cérémonie religieuse pour le repos de l'âme du trépasse ;
elle est appelée Zeker, et je ne crois pas qu'elle soit ob-
servée dans beaucoup de pays musulmans, du moins
telle qu'elle se pratique ici. — A cet effet, un certain
nombre de prieurs des mosquées et des amis du défunt
se réunissent dans une pièce de la maison mortuaire et
récitent de longs cantiques funèbres, spécialement adap.
tés à la circonstance, sur un rhythme cadencé qui rap-
pelle beaucoup les chants d'église de la liturgie latine.
Les chanteurs formant un cercle et pressés les uns contre
les autres, ont d'ordinaire un imam qui leur sert de
coryphée. Celui-ci chante d'abord chaque vers du can-
tique, et le chœur le répète immédiatement après lui;
puis ce sont des morceaux d'ensemble qui sont, non plus
chantés, mais bien plutôt hurlés par ces individus, se
livrant, en même temps, à d'étranges contorsions du
corps, qui rappellent les cérémonies des derwiches hur-
leurs de la Turquie. Les exercices violents de ces mal-
heureux choristes les mettent bientôt hors d'eux-mêmes,
ils ruissèlent de sueur, leurs yeux deviennent hagards,
la bouche s'emplit d'écume, et souvent même ils tombent
dans un véritable état d'épilepsie. A ces cris, à ces
mouvements désordonnés succède un moment de repos
et de silence, et bientôt un solo triste et monotone, d'une
mélodie plaintive, se fait entendre et ravit l'auditoire
par ses paroles mystiques et religieuses, par son accent
larmoyant qui rappelle les lamentations de Jérémie,
chantées dans les églises d'Italie aux jours de la se-
maine sainte. Ce n'est là qu'un intermède pour donner
aux premiers hurleurs le temps de se reposer un peu et
de reprendre leurs forces; car on ne tarde pas d'enten-
dre de nouveau le chœur des énergumènes qui recom-
mence de plus belle. — Au bout de deux ou trois heures
de cet étrange concert funèbre, on apporte du café à
l'assistance, après quoi on lui sert tout un dîner. Quel-
ques instants après chacun se retire chez lui pour y
retrouver un repos dont il a bravement acquis le droit
de jouir.
Je finis ici cette troisième lettre, en sollicitant pour
elle, comme je l'ai fait pour celles qui l'ont précédée,
votre toute obligeante et aimable indulgence.
A. Roux.
AVIS
HAÏ. les Abonnés dont l'abonnement expire
à la fin de ce mois, sont priés de le renou-
veler pour éviter toute Interruption dans
l'envol de leur journal.
Le Gérant : ERNEST DESPLACES.
l'ARIS. — tMPMMEtUE CENTRALE DE NAVOIJSON CHAIX El C', KUE IIEXIOÈHE, 20.
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.95%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 99.95%.
- Collections numériques similaires Thématique : ingénierie, génie civil Thématique : ingénierie, génie civil /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "EnPCthèm02"Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "EnPCcorp11" Corpus : ports et travaux maritimes Corpus : ports et travaux maritimes /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=colnum adj "EnPCcorp16"
- Auteurs similaires Desplaces Ernest Desplaces Ernest /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Desplaces Ernest" or dc.contributor adj "Desplaces Ernest")
-
-
Page
chiffre de pagination vue 16/16
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://heritage.ecoledesponts.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k62032662/f16.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://heritage.ecoledesponts.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k62032662/f16.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://heritage.ecoledesponts.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k62032662/f16.image
- Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://heritage.ecoledesponts.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k62032662
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://heritage.ecoledesponts.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k62032662
Facebook
Twitter