Titre : L'Isthme de Suez : journal de l'union des deux mers / gérant Ernest Desplaces
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1863-06-01
Contributeur : Desplaces, Ernest (1828-1893?). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34430392j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 01 juin 1863 01 juin 1863
Description : 1863/06/01 (A8,N167). 1863/06/01 (A8,N167).
Description : Collection numérique : Bibliothèques d'Orient Collection numérique : Bibliothèques d'Orient
Description : Collection numérique : Collections de l’École... Collection numérique : Collections de l’École nationale des ponts et chaussées
Description : Collection numérique : Thématique : ingénierie,... Collection numérique : Thématique : ingénierie, génie civil
Description : Collection numérique : Corpus : canaux, écluses,... Collection numérique : Corpus : canaux, écluses, navigation intérieure
Description : Collection numérique : Corpus : ports et travaux... Collection numérique : Corpus : ports et travaux maritimes
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k62032469
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-O3b-240
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 26/11/2012
186 L'ISTHME DE SUEZ,
Justement son collègue lord Scott venait de les vi-
siter, et voici les paroles qu'il prononça sur l'état des
travailleurs.
« Il est très-vrai qu'aucun grand ouvrage ne peut
être exécuté dans les pays orientaux sans l'interven-
tion du gouvernement ; mais en se rappelant que
les travailleurs du canal sont régulièrement payés
et bien nourris, on ne peut pas dire que leur travail
soit entièrement forcé. Ils vivent dans l'isthme beaucoup
mieux qu'ils ne font quand ils sont engagés dans leurs
travaux habituels. »
Ainsi donc, le travail obligatoire en Egypte est la
condition sine quâ non de toute œuvre d'utilité pu-
blique. Les fellahs employés par la Compagnie n'ont
à souffrir d'aucun des maux que leur infligeaient
précédemment les corvées, aucune des horreurs
qu'ils ont spécialement subies dans la construction
des chemins de fer exigés et imposés par les An-
glais. Plus encore; leur existence dans l'isthme est
bien plus douce et bien meilleure que celle qu'ils
ont dans leurs villages, sur le théâtre de leurs tra-
vaux habituels où la philanthropie de M. Griffith
prétend les tenir et les clouer.
Pourtant, aussi longtemps que les duretés ou les
cruautés du régime précédent ont duré, la sollicitude
de la Turquie ne s'est pas avisée de réclamer une
seule fois. Elle n'y a pas même pensé lorsque la
construction du chemin anglais de Suez parsemait
cette voie de cadavres égyptiens. Ce n'est que lorsque
ces désastres du travail obligatoire ont complétement
disparu, lorsqu'il n'en reste en quelque sorte que les
bienfaits sans les souffrances , mais aussi lorsqu'il
s'agit d'un ouvrage déplaisant à l'Angleterre, que la
Porte enfin se réveille et fait entendre la voix de sa
sensibilité.
La Turquie n'a-t-elle donc rien à faire qu'à s'occu-
per du sort des fellahs, les plus fortunés des hommes,
si on les compare à ses propres sujets ? Comment
étaient-ils traités en Syrie, à Jérusalem, juste au mo-
ment où le sultan était en Egypte, et où Fuad-Pacha
montrait un si tendre zèle pour les travailleurs du
canal ? Nous empruntons à cet égard un curieux
récit au Times lui-même, publiant une correspondance
datée de Jérusalem, le 15 avril, qui rend compte
d'une des cérémonies religieuses célébrées au Saint-
Sépulcre, où de très-loin accourent toutes les com-
munions chrétiennes des provinces voisines. Le cor-
respondant décrit l'amoncellement de toute cette
multitude qui pendant ces dévotions s'établit jour et
nuit dans l'église, et y apporte tout ce qui est né-
cessaire pour dormir et pour manger. Après ce
préliminaire il continue comme suit :
« Un tumulte est entendu et voici venir à la file
cent soldats turcs la baïonnette au bout du fusil, avec
les officiers et un colonel. Il s'agissait pour ce dernier
de faire un passage à sa troupe. Il employa trois quarts
d'heure de rude besogne à s'ouvrir une étroite issue
autour du sépulcre et le long de la nef. Le temps
qu'il y mit ne fut pas causé par la douceur de ses
manières , mais par l'impossibilité de comprimer les
corps hnmains au-delà d'une certaine mesure. Quant
à la douceur dont il usa, le colonel fit tout de sa
propre main et c'était une terrible main. Il était
armé non-seulement de son épée, mais encore d'un
instrument beaucoup plus sérieux : c'était un fouet
en nerf de bœuf avec un long manche monté d'ar-
gent, finissant par une forte lanière et atteignant deux
fois aussi loin que son épée. Il était en tête de ses
soldats, criant de toutes ses forces à chaque forme
assise qu'il rencontrait, frappant dessus , si elle ne
s'éloignait pas immédiatement de sa voie , avec des
coups qui résonnaient dans toute la profondeur de
l'édifice. Ses jurements et son langage étaient ef-
frayants et ses coups plus bruyants encore. La scène
aurait fait honte à un enfer et cependant c'était la
maison du Christ. Tous s'enfuirent de lui comme de
l'explosion d'une bombe. Les gens assommés se tor-
daient sous cette tempête de coups. Si l'un d'eux
jetait un cri, il était immédiatement livré aux soldats,
violemment chassé de l'église, battu tout le long des
rangs, et la grande peur de l'expulsion tint la majo-
rité muette. Lorsque tout fut en ordre et le chemin
dégagé, il fut occupé par les soldats, et le colonel
turc, qui venait d'abattre un homme d'un coup de
crosse, regarda complaisamment autour de lui comme
s'il venait de rendre un grand service à la religion
chrétienne. »
Le lendemain, même scène. « Notre vieil ami le
colonel, dit gaiement le correspondant, était là frap-
pant autour de lui avec son instrument de torture,
et chaque coup résonnait comme une explosion. »
Les assistants se disputant entre eux, le colonel y
mit bientôt remède. «Le fouet! le fouet! et encore le
fouet cassa une demi-douzaine de têtes et ramena
les esprits à la raison, j)
Tout cela est raconté avec une désinvolture char-
mante, d'un air cavalier et goguenard. Etait-ce parce
que la scène se passait en Syrie? Elle eût sans
doute allumé toutes les foudres anglaises si elle se
fût passée en Egypte.
Et c'est le gouvernement qui permet ces profana-
tions, qui autorise ces brutalités, qui laisse ses plus
hauts agents traiter ses sujets comme on ne traite -
rait pas le bétail le plus abject, qui cependant solli-
cite les larmes et l'aide de l'Europe en faveur des
fellahs de l'isthme bien nourris, bien payés et de
toutes les façons paternellement soignés !
Lord Palmerston, toutefois, n'a pas jugé que la
seule intervention des ministres turcs fût suffisante
en cette affaire. Il sait bien que l'on peut lui répon-
dre que la Turquie n'a pas à se mêler de l'adminis-
Justement son collègue lord Scott venait de les vi-
siter, et voici les paroles qu'il prononça sur l'état des
travailleurs.
« Il est très-vrai qu'aucun grand ouvrage ne peut
être exécuté dans les pays orientaux sans l'interven-
tion du gouvernement ; mais en se rappelant que
les travailleurs du canal sont régulièrement payés
et bien nourris, on ne peut pas dire que leur travail
soit entièrement forcé. Ils vivent dans l'isthme beaucoup
mieux qu'ils ne font quand ils sont engagés dans leurs
travaux habituels. »
Ainsi donc, le travail obligatoire en Egypte est la
condition sine quâ non de toute œuvre d'utilité pu-
blique. Les fellahs employés par la Compagnie n'ont
à souffrir d'aucun des maux que leur infligeaient
précédemment les corvées, aucune des horreurs
qu'ils ont spécialement subies dans la construction
des chemins de fer exigés et imposés par les An-
glais. Plus encore; leur existence dans l'isthme est
bien plus douce et bien meilleure que celle qu'ils
ont dans leurs villages, sur le théâtre de leurs tra-
vaux habituels où la philanthropie de M. Griffith
prétend les tenir et les clouer.
Pourtant, aussi longtemps que les duretés ou les
cruautés du régime précédent ont duré, la sollicitude
de la Turquie ne s'est pas avisée de réclamer une
seule fois. Elle n'y a pas même pensé lorsque la
construction du chemin anglais de Suez parsemait
cette voie de cadavres égyptiens. Ce n'est que lorsque
ces désastres du travail obligatoire ont complétement
disparu, lorsqu'il n'en reste en quelque sorte que les
bienfaits sans les souffrances , mais aussi lorsqu'il
s'agit d'un ouvrage déplaisant à l'Angleterre, que la
Porte enfin se réveille et fait entendre la voix de sa
sensibilité.
La Turquie n'a-t-elle donc rien à faire qu'à s'occu-
per du sort des fellahs, les plus fortunés des hommes,
si on les compare à ses propres sujets ? Comment
étaient-ils traités en Syrie, à Jérusalem, juste au mo-
ment où le sultan était en Egypte, et où Fuad-Pacha
montrait un si tendre zèle pour les travailleurs du
canal ? Nous empruntons à cet égard un curieux
récit au Times lui-même, publiant une correspondance
datée de Jérusalem, le 15 avril, qui rend compte
d'une des cérémonies religieuses célébrées au Saint-
Sépulcre, où de très-loin accourent toutes les com-
munions chrétiennes des provinces voisines. Le cor-
respondant décrit l'amoncellement de toute cette
multitude qui pendant ces dévotions s'établit jour et
nuit dans l'église, et y apporte tout ce qui est né-
cessaire pour dormir et pour manger. Après ce
préliminaire il continue comme suit :
« Un tumulte est entendu et voici venir à la file
cent soldats turcs la baïonnette au bout du fusil, avec
les officiers et un colonel. Il s'agissait pour ce dernier
de faire un passage à sa troupe. Il employa trois quarts
d'heure de rude besogne à s'ouvrir une étroite issue
autour du sépulcre et le long de la nef. Le temps
qu'il y mit ne fut pas causé par la douceur de ses
manières , mais par l'impossibilité de comprimer les
corps hnmains au-delà d'une certaine mesure. Quant
à la douceur dont il usa, le colonel fit tout de sa
propre main et c'était une terrible main. Il était
armé non-seulement de son épée, mais encore d'un
instrument beaucoup plus sérieux : c'était un fouet
en nerf de bœuf avec un long manche monté d'ar-
gent, finissant par une forte lanière et atteignant deux
fois aussi loin que son épée. Il était en tête de ses
soldats, criant de toutes ses forces à chaque forme
assise qu'il rencontrait, frappant dessus , si elle ne
s'éloignait pas immédiatement de sa voie , avec des
coups qui résonnaient dans toute la profondeur de
l'édifice. Ses jurements et son langage étaient ef-
frayants et ses coups plus bruyants encore. La scène
aurait fait honte à un enfer et cependant c'était la
maison du Christ. Tous s'enfuirent de lui comme de
l'explosion d'une bombe. Les gens assommés se tor-
daient sous cette tempête de coups. Si l'un d'eux
jetait un cri, il était immédiatement livré aux soldats,
violemment chassé de l'église, battu tout le long des
rangs, et la grande peur de l'expulsion tint la majo-
rité muette. Lorsque tout fut en ordre et le chemin
dégagé, il fut occupé par les soldats, et le colonel
turc, qui venait d'abattre un homme d'un coup de
crosse, regarda complaisamment autour de lui comme
s'il venait de rendre un grand service à la religion
chrétienne. »
Le lendemain, même scène. « Notre vieil ami le
colonel, dit gaiement le correspondant, était là frap-
pant autour de lui avec son instrument de torture,
et chaque coup résonnait comme une explosion. »
Les assistants se disputant entre eux, le colonel y
mit bientôt remède. «Le fouet! le fouet! et encore le
fouet cassa une demi-douzaine de têtes et ramena
les esprits à la raison, j)
Tout cela est raconté avec une désinvolture char-
mante, d'un air cavalier et goguenard. Etait-ce parce
que la scène se passait en Syrie? Elle eût sans
doute allumé toutes les foudres anglaises si elle se
fût passée en Egypte.
Et c'est le gouvernement qui permet ces profana-
tions, qui autorise ces brutalités, qui laisse ses plus
hauts agents traiter ses sujets comme on ne traite -
rait pas le bétail le plus abject, qui cependant solli-
cite les larmes et l'aide de l'Europe en faveur des
fellahs de l'isthme bien nourris, bien payés et de
toutes les façons paternellement soignés !
Lord Palmerston, toutefois, n'a pas jugé que la
seule intervention des ministres turcs fût suffisante
en cette affaire. Il sait bien que l'on peut lui répon-
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